PS : Le Xanax dans les films de Pedro Almodóvar : presque tous les films, soyez attentifs ! Si possible à regarder dans la langue vernaculaire avec les sous-titres.
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Le maître de mon corps
La maîtrise de soi, de ses émotions, et plus généralement la maîtrise de son corps, c’est très à la mode. Moi le maître de mon corps, je l’ai décidé, c’est le Docteur K. Sans vouloir faire dans le larmoyant, c’est grâce à lui que je vis pas trop mal, grâce à lui que je peux écrire ici par exemple. Il gère mon corps comme un magicien. Pourtant les médecins aiment bien dire « je n’ai pas de baguette magique » (ou « je n’ai pas de boule de cristal », vous avez forcément déjà entendu une de ces deux phrases !). Ben lui si. Il manie les molécules comme un virtuose, il est couillu quand il le faut, prudent quand il le peut. Ça fait 5 ans qu’on est ensemble.
J’ai mis du temps à le trouver ; il y en a eu d’autres avant lui. Je suis une femme d’expérience. Trouver le bon médecin c’est comme trouver la personne avec qui on va se marier et/ou faire des enfants, selon les règles normatives de nos sociétés occidentales. D’ailleurs on devrait peut-être inventer un Tinder des médecins. Attention je vais breveter l’idée !
Je ne sais pas par où commencer pour vous décrire à quel point le Docteur K c’est juste le meilleur de tous. Par exemple son dévouement. Je pourrais aller sur synonymo.fr et vous coller une tartine de tous les synonymes de « dévouement », et autres nombreux adjectifs laudatifs. Comme dirait un biologiste, un schéma vaut mieux qu’un long discours, donc pour nous là, le schéma ce sera un exemple. Schématiquement, le Docteur K a un numéro de portable qu’on peut appeler quand on veut si ça va pas. Il dit toujours : « tu m’appelles si ça va pas ». Moi je voudrais aussi l’appeler « quand ça va », mais bon c’est spécial la relation médecin-patient. Un jour où il ne travaillait pas, j’ai appelé ce fameux petit Nokia 3310 d’urgence, il a déboulé de chez lui à sa clinique pour me diagnostiquer en moins de deux des colites néphrétiques dues à deux calculs rénaux. Un virtuose je vous dis ; il est tombé juste direct, grâce à sa performance et à celle de son pote radiologue. Cette fois ça a été. On a retiré tout ça avant que ça s’infecte. Mais si un jour je devais mourir d’une « erreur médicale », je voudrais que ce soit lui qui la commette. Parce que c’est le seul pour qui j’ai vraiment plein d’amour. Je me suis même mise à calculer à mon espérance de vie en fonction de la sienne. Il sait une tonne de trucs. Il sait aussi qu’il y a une tonne de trucs qu’il ne sait pas. Cet esprit socratien, pour moi c’est la base en médecine ; le corps est un tel gros sublime bordel, que devant lui l’humilité s’impose. D’ailleurs, au passage, une petite remarque sur la juxtaposition « erreur médicale ». On emploie souvent ce truc et je crois que les médecins en ont un peu peur, normal, mais pour moi c’est un oxymore. Une erreur mathématique, ok. Parce que les mathématiques c’est précis et rigoureux donc soit c’est juste, soit c’est faux. Mais la médecine, comme c’est ce « gros sublime bordel », ça ne peut pas être juste ou faux. Exception faite du chirurgien qui vous ampute de la mauvaise jambe bien sûr. Mais bon voila, à part ce genre de chose, il faut bien intégrer qu’il n’y a pas d' »erreur médicale ».
Du coup je ne sais pas si je vous décris l’expérience de la colite néphrétique. En fait non. Je vous conseille plutôt de lire dans le noir, d’une seule traite, dans un endroit bien lugubre, très chaud ou très froid, humide, si possible avec quelques odeurs nauséabondes virevoltantes, le bon Thérèse Raquin de Zola. Ressentez tout. Voilà, c’est ça la colite néphrétique.
Donc quand ça va pas, j’écris au Docteur K. Et toujours, il me répond. Il est là en vacances en Italie, posey en train de chiller en bord de mer avec ses ados, de se prendre en selfie avec des oliviers 3 fois sa taille, ça ne capte pas, il devrait se dire « enfin je décroche du boulot ». Mais à l’inverse il décroche encore le téléphone d’urgence et il vous explique, à distance, votre hospitalisation, les décisions médicales qui se mettent en place à 2000 kilomètres de là, donne son avis, et enfin, surtout, rassure. Bon mais du coup on en est où tous les deux ? Je le sollicite quand ça va pas, il me soigne, et il me donne de l’affection, vraiment beaucoup, j’aime ça, et bon sang, pour finir, je le paye.
Il est ma pute.
C’est super bizarre. Qu’on soit bien d’accord je ne mets vraiment aucun jugement dans ce mot « pute ». Mais ça me gêne un peu quand même. De payer pour son affection. Je rêve de lui dire : « Docteur K, appelez-moi quand ça va pas, et à mon tour je vous sortirai du pétrin. » Ce serait trop classe. Il ne serait plus ma pute. Il serait le maître, je serais son disciple.
PS : Pour aller plus loin que le mot « pute », il y a par exemple le concept de transfert chez Freud, probablement transférable à d’autres spécialités que la psychiatrie donc… : « dans chaque traitement analytique, s’instaure, sans aucune intervention du médecin, une relation affective intense du patient à la personne de l’analyste, relation qui ne peut s’expliquer par aucune des circonstances réelles. Elle est de nature positive ou négative, va de l’état amoureux passionnel, pleinement sensuel, jusqu’à l’expression extrême de la révolte, de l’exaspération et de la haine. Cette relation, qu’on appelle, pour faire bref, transfert, prend bientôt la place chez le patient du désir de guérir et devient, tant qu’elle est tendre et modérée, le support de l’influence médicale et le ressort véritable du travail analytique commun. » extrait de Selbstdarstellung.
PPS : Freud aurait peut-être interprété ma dernière phrase : « En se rêvant Platon, le disciple de Socrate, la patiente confirme son désir de transmission du savoir de Socrate, donc de rapport sexuel avec son praticien (cf. les relations entre philosophes dans la Grèce Antique, par exemple avec Luc Brisson), donc la pute se tient. » Ouf. Merci Freud.
Sortez couverts
Bref, j’avais rendez-vous avec Docteur DB parce qu’avant j’avais eu rendez-vous avec Docteur C, et que pendant la consultation elles s’étaient appelées pour savoir à quelle heure elles allaient à la piscine après l’hôpital, et qu’au passage « J’ai une patiente là bizarre ce serait intéressant que tu la voies ». Je m’étais sentie comme un petit macaque au cirque. D’autant plus que Docteur C s’était comportée avec moi pas du tout selon la description du médecin qu’on a faite plus haut. Donc, d’après moi, Docteur C n’était vraiment pas sympa.
Je suis quand même allée chez Docteur DB, envoyée par Docteur C. Je suis une patiente compliante (pour ceux qui veulent en savoir davantage sur la compliance, un article très intéressant et en libre accès sur EMconsulte). Docteur DB a tout de suite vu que j’avais peur. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle l’a vu, mais elle a déroulé la consultation comme une fée. J’étais à Disneyland. Dans le monde des poupées. Je n’avais jamais été confrontée à autant de talent, de délicatesse et de compétence. Elle ne devenait pas la chef pour rien. Elle m’a donné son email pour que je la contacte en cas de besoin. Elle a asséné fermement en même temps : « M’envoyer plusieurs fois le même email ce n’est pas me harceler, c’est m’aider ». Classe. Moi toute polie, je n’avais jamais vu les choses de cette façon. Et vous ?
C’était magique de sollicitude. C’était aussi tellement ironiquement drôle. J’aurais voulu lui dire tout ce que j’avais déjà adapté dans ma vie avec la maladie, et que, si, si, je pouvais vivre comme « ça » ; parmi tout ce qui était contenu dans le petit pronom démonstratif « ça », la nécessité de mettre un préservatif, c’était une goutte d’eau dans l’océan. Mais aucun temps n’aurait suffi pour lui expliquer tout « ça ». Alors j’ai juste souri. J’étais heureuse. Elle était vraiment sympa.
Des os en crystal
Bon. Aujourd’hui je fais ma troisième ostéodensitométrie.
C’est un examen qui mesure la Densité Minérale Osseuse (DMO donc pour les initiés). Avec l’âge la DMO diminue, notamment chez les femmes ménopausées, qui ne produisent plus d’œstrogènes (allez aujourd’hui, c’est un peu technique). Il y a aussi des femmes enceintes chez qui la DMO diminue, ça s’appelle l’ostéoporose de grossesse. C’est pas pratique parce que souvent ces femmes cassent spontanément des vertèbres avec leur grand ventre, ou bien elles cassent des vertèbres en accouchant. Bref l’ostéoporose c’est pas cool. Ça peut être aussi associé à des maladies auto-immunes comme la maladie cœliaque.
Moi j’ai cassé une vertèbre juste en faisant du trot à cheval. Pour ceux qui ne connaissent pas le cheval, le trot c’est une allure intermédiaire entre le pas et le galop. Comme disent les médecins, on sent quand un os casse, on sent un truc pas habituel qui vient d’un coup. Là ma vertèbre ça avait fait comme une sensation de trou dans le dos, c’était un peu rigolo. Sur le moment j’ai pas du tout pensé que je venais de casser une vertèbre, ça me paraissait trop impossible, même si on avait déjà vu que j’avais une DMO faible, et que j’avais déjà cassé plusieurs côtes hyper facilement (genre un pote « Hey salut, ça va ?! ». Petite tape amicale sur le torse. Bim. Côte cassée. Outch. 6 semaines de punition. Le traitement : on ne bouge pas on ne parle pas on ne respire pas et le pire ! On ne rit pas !! Pour moi qui aime l’humour c’est la pire des punitions. Ceux qui ont déjà cassé des côtes comprennent ; les autres, je le souhaite à personne). Alors ce jour où j’ai cassé la vertèbre, j’ai continué sur le cheval. C’était génial comme cours. Du dressage niveau Galop 7. Là vous vous dites : « Mais elle avait pas genre trop mal ?! ». Ben non parce qu’à l’époque je prenais de la codéine à haute dose, pour un autre problème, donc je sentais pas trop mon corps. C’était bien ça. Cette notion de « ne pas sentir son corps ». Pensez à chaque fois que vous avez eu mal, puis quand vous avez plus eu mal. Vous avez cessé de « sentir votre corps », il vous fout la paix comme dirait Fabrice Midal. C’est trop bon.
Bref, depuis cette fracture spontanée de vertèbre, les médecins me font vivre comme une nonne. En théorie je ne devrais plus faire de cheval à cause du risque de chute mais j’aime trop ça. Par contre je ne m’assois plus au trot ou au galop, je suis toujours en équilibre sur les étriers. Du coup j’ai des quadriceps et des adducteurs en béton ! Je ne porte rien de trop lourd. Imaginez la frustration quand les petits gosses trop mignons de vos amis vous supplient de les prendre dans vos bras. Ou que vous partez en vacances et que vous rêvez de faire une baignade à cheval à cru (= sans selle, nos fesses directement sur le dos de la bête) mais que vous avez peur que toute votre colonne y passe. Parce que souvent les vertèbres ce sont des fractures « en chaîne », c’est joli comme expression hein ? Je m’imagine jouer aux dominos quand je prends des enfants dans mes bras du coup. Cassera, cassera pas ? Comment je lui explique à la petite Louise que ce serait quand même bien qu’elle se hisse toute seule sur les toilettes à 3 ans parce que tatie Manon elle pourrait y laisser gros. Elle s’en tape elle. Elle vit sans stress. J’adore les enfants pour ça. Du coup je rêve d’en avoir. Mais j’attends que peut-être les médicaments pour les os fassent remonter ma DMO…et je fais des ostéodensitométries tous les ans pour savoir où j’en suis de pouvoir réaliser mes rêves…
Le droit d’être fou
Bon. Aujourd’hui je suis allée chez la psychiatre du centre antidouleur. On se connaît depuis 5 ans maintenant. Pour moi, elle est l’incarnation de Dieu, en médecin, en femme. Dans mon éducation catholique on m’a appris qu’on pouvait ressentir des appels, avoir des apparitions. Si on me demandait si un jour j’ai eu ça, ce serait oui et ce serait elle. Elle ne juge rien, elle pardonne tout, elle est dévouée, elle est presque tout le temps de garde aux urgences – elle doit voir des « trucs de fou » – pourtant elle est toujours calme et souriante. Quand elle demande « Alors comment ça va ? » c’est avec une voix douce, un regard présent mais délicat, une certaine gêne même, la pudeur de cette question à la fois si automatique et si chargée en émotions intimes.
Je la soupçonne d’être mariée à la médecine. De vivre dans un petit appartement tout près de l’hôpital pour être disponible le plus vite possible dès qu’une urgence se présente. Dans le film Hippocrate réalisé par Thomas Lilti, l’acteur Reda Kateb dit à un moment « être médecin c’est une malédiction ». Voilà, c’est ma psychiatre. Mais en version bénédiction.
Alors aujourd’hui on parlait de mon épisode qu’elle qualifie de « subexcitation psychique » que j’ai eu il y a quelques mois, suite à une hospitalisation longue. Elle me dit qu’elle ne comprend pas pourquoi mon cerveau a réagi comme ça. Moi je lui propose : « Mais en fait peut-être qu’on a tous le droit d’être un peu fou quelques temps ? ». Elle me répond en rigolant : « C’est étonnant votre notion des droits du cerveau ! « . Du coup, je pense que ça voulait dire oui. Oui, parfois quand on n’en peut plus de quelque chose on devient un peu fou et puis ça passe. Moi je pense même qu’au fond on est tous un peu fous en fond d’écran. Même la psychiatre qui est l’incarnation de Dieu.