Bon. Le sujet aujourd’hui c’est : dire ou ne pas dire ? En particulier : toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Ça ressemble presque à un sujet de baccalauréat de philosophie.
Avec la maladie, j’ai des tendinites chroniques à plusieurs endroits. Je fête leurs anniversaires plus que le mien. Des tendinites ça peut paraître très anodin comparé à d’autres trucs, comme par exemple de l’ostéoporose qui fait qu’on casse pour rien. Comme diraient des médecins, si le problème « c’est uniquement que ça fait mal, alors ce n’est pas très grave », parce que la douleur « c’est plus facile à gérer que des grosses complications ». C’est un discours que j’ai souvent entendu et avec lequel je suis moyennement d’accord. La douleur ça peut rendre complètement fou. Mais ça, c’est un autre sujet.
J’allais chez ce médecin pour mes tendinites. Les tendinites c’était son truc. Il en soignait toute la journée, avec plein de techniques différentes. Des grands sportifs venaient le consulter. Il avait des maillots de foot dédicacés affichés aux murs, avec des « Merci », et plein de médailles accrochées à une étagère et qui pendaient exactement au-dessus de sa tête quand il était assis à son bureau. Ça lui faisait comme une petite couronne suspendue dans les airs. Avec tous ces symboles étalés, on peut dire que ce médecin était un gagnant.
Sa spécialité c’est « médecine physique et réadaptation« . C’est peu connu. Ce genre de spécialistes se retrouvent dans des services divers, tels que la médecine du sport, la gériatrie, la neuro-urologie pour les maladies neuro qui dégénèrent en troubles uro par exemple. Ce sont des sortes de mécaniciens qui interviennent sur des terrains variés. Lui du coup, avec tous ses trophées, il s’était plutôt orienté sport. Mais il y avait quand même deux papi et mami tous mignons en béquilles dans sa salle d’attente ce jour-là.
Donc moi j’arrive en consultation pour la énième fois avec mes tendinites pourries, sur lesquelles sont passés d’excellents kinés et déjà diverses techniques médicales performantes habituellement. Je veux guérir de ça. En tout cas je l’espère. Les médecins et moi, on n’a pas encore fait tout ce qui était possible. Notamment parce que parfois il y a d’autres problèmes de santé qui prennent le dessus, et pendant quelques temps on met de côte « ce qui fait seulement mal ». C’est difficile d’avoir mal à tout un tas d’articulations quand on se meut. On se sent enchaîné. Comme un bagnard qui traînerait des poids aux chevilles, aux genoux, aux coudes.
J’ai rappelé au médecin gagnant mes zones articulaires malades que je lui demandais d’essayer de soigner. Il s’est senti le besoin de faire un petit bilan sur mon état de santé général et mes médicaments. Bon ça, c’était sérieux. Et puis tout d’un coup, il lui a pris un truc. Je ne sais pas quelle mouche l’a piquée. J’avais l’impression qu’on était seuls avec ses médailles et sa réussite. Il n’y avait pas d’insecte malveillant avec nous dans la pièce.
Mais la mouche l’a bien piqué, et voilà le tableau clinique de son choc anaphylactique :
Petit, il s’est redressé pour paraître plus grand sur sa chaise. Il a posé ses deux grandes mains bien à plat sur sa table. Il m’a regardée droit dans les yeux. Il a parlé lentement au début :
« Bon, je ne sais pas si on vous l’a déjà dit, mais si on ne vous l’a jamais dit, à un moment il va falloir que quelqu’un vous le dise. »
Ce « quelqu’un », ça allait être lui. Il allait m’apporter la bonne parole. Il avait en tête une mission. Rappelons que sa mission de départ, sa mission de médecin, de médecin des tendinites, c’est de soigner les tendinites. Il n’y arrivait pas chez moi. Mais il n’avait pas encore tout essayé. Alors je continuais de venir en consultation. Il a continué de parler, sur un ton beaucoup plus angoissé cette fois :
« Il va falloir vous calmer. Vous ne pouvez pas faire tout ce que voulez comme si vous aviez 18 ans. Votre corps il est fragile, il est inflammatoire en permanence. Et il y a vos traitements. Ce ne sont pas des bonbons que vous prenez, vous avez compris ? Ce ne sont pas des bonbons. Il y a un risque infectieux très important. On sait que le risque infectieux est très important. Il y a des priorités dans la vie. Si vous faites trop de sport, votre corps vous allez le tuer. »
Il aurait mieux fait de se taire. De ne pas dire.
Lecteurs, si vous le voulez bien, on va reprendre un à un les arguments de ce petit discours terrible. C’est ce que j’ai fait un tout petit peu devant le médecin, mais pas assez, parce que j’étais choquée, blessée, pas prête à entendre ces certes, vérités.
1) Je venais de lui dire juste avant qu’avec mes tendinites je ne faisais plus grand chose. J’étais davantage proche de l’activité de papi et mami dans la salle d’attente que de celle des signataires des maillots de foot dans son bureau. J’avais « adapté » mes ambitions sportives déjà (sur le blog c’est là), je suis inscrite à la Fédé Handisport depuis longtemps. Son travail de « réadaptation » (rappelons que c’est le nom de sa spécialité), je l’avais déjà entamé moi. Donc je me suis déjà « calmée », contrairement à lui dans cette tirade angoissée.
2) Ma maladie est inflammatoire en permanence, et bien qu’est-ce que j’y peux ? Je ne l’ai pas choisi. Lui, il a choisi d’être médecin, moi, je n’ai pas choisi d’être malade. Ça ne sert à rien de me répéter que je suis malade, en fait. Ça va faire 10 ans que des premiers diagnostics ont été posés. En 10 ans, même si j’ai toujours du mal à accepter, c’est bon, j’ai compris que j’étais malade.
3) Ce ne sont pas des bonbons que je prends. Ah bon ? Ça alors. Heureusement qu’il était là pour me le dire. Ça faisait 10 ans que je confondais les médecins avec les confiseurs. Je prends du Luteran parce que c’est rose, du Toviaz parce que c’est bleu et que je suis pour l’égalité fille-garçon (donc du rose et du bleu), du Kestynlyo parce que ça fait comme le goût menthe des tic tac mais c’est remboursé par la Sécurité Sociale, du Vogalène Lyoc parce que ça a un petit goût sucré agréable à la fin du repas. Mes piqûres d’immunosupresseurs, qui font ce fameux risque infectieux, je croyais que c’était une version seringue des… je-sais-pas-moi, des sucettes ? A la fraise puisque les seringues sont rouges ?! J’adore la fraise.
4) Enfin, le fait que je fasse du sport. Faudrait savoir. Les médecins de mes grosses maladies me disent que c’est bien de faire du sport. C’est bon pour le moral. C’est bon pour le cœur. C’est bon pour les muscles. C’est bon pour les poumons. Je continue ? Bien sûr, on fait du sport, « avec tact et mesure » comme dirait mon kiné préféré. Mais on peut tous faire, à notre façon, du sport, même papi et mami en béquilles dans la salle d’attente. De plus, la maladie, parfois, souvent, ça rend un peu malheureux. Donc c’est pas mal de faire des choses qui nous rendent heureux. Et moi, « faire du sport », à mon humble échelle, ça me rend heureuse. Point. Je suis comme ça. A prendre dans mon intégralité de personne, de patiente. Ici, être ou ne pas être, telle n’est pas la question. C’est sûr que je SUIS comme ÇA.
5) Enfin le fait que je tue mon corps. Voilà voilà…Les médecins n’ont pas fait des grandes études de lettres. Moi non plus. Je me suis arrêtée à la première année après le bac. Je ne suis pas Docteur en Lettres. Mais quand même… »tuer ». Est-ce qu’on devient médecin pour utiliser le mot « tuer » ? Je ne crois pas. Ce mot devrait être banni de la bouche du médecin. En toute circonstance. Je pense qu’en fait, dans tout ce discours hasardeux, inquiet, et mal mené, notre pauvre médecin toujours habitué à gagner a pris peur. Il a voulu se prémunir. Se rassurer sur le fait que s’il échouait, ce ne serait pas de sa faute, mais de la mienne. C’était moi la coupable qui me tuait. Mon cerveau prenait des décisions qui tuaient mon corps. Évidemment. C’est pour ça que j’étais en consultation chez lui. Pour savoir comment mieux me tuer.
Analyse terminée. Merci à ceux qui ont lu et réfléchi avec moi. La conclusion de tout ça ? Oui il y a des gens malades dans la vie, qui prennent beaucoup de médicaments, lourds d’effets secondaires. C’est une vérité. Mais non ce n’est pas une vérité bonne à dire. Qu’est-ce qu’on fait si on écoute la petite leçon de ce médecin catastrophiste ? On arrête tout ? On s’enferme dans une bulle comme Diam’s, et on chante depuis cette bulle ? On s’affale sur son canapé devant la télé en se morfondant de cette vie de maladie et en plongeant sa main dans les bonbons poisseux prescrit par les Docteurs ? Je ne crois pas que ce soit ça la solution.
Personne n’est tout puissant. Ni le médecin, ni le patient. Le médecin son métier c’est de faire le plus beau soin possible sur une machinerie éventuellement déjà cabossée. Le patient est obligé de faire comme il peut pour vivre avec son corps malade ; il vit avec son impuissance ; il n’abandonne pas pour autant.
Je ne me calmerai pas.