Archives de catégorie : Dans la vraie vie

Pourquoi j’avais inventé une Ministre de Confinement et du Tri

Quand la pandémie à commencé, vers février 2020, jamais je n’aurais cru que le monde « moderne » dans lequel nous vivons serait confronté une situation de cette envergure. À chaque personne qui m’aurait demandé avant si statistiquement une pandémie était possible, j’aurais mis mes mains à couper que non. J’aurais surement aussi volontiers mis mes pieds à couper. Un peu d’humilité m’aurait permis de rester entière.

J’avais fait des stat pendant les études, et un peu de biologie, tout ce bazar me paraissait impossible. Quand il y a eu la première vague, mon cerveau a beaucoup souffert donc. Je n’arrivais pas à supporter ce qui se passait. Je m’endormais tous les soirs terrorisée et pleine de somnifères et d’anxiolytiques, je me réveillais tous les matins en me demandant si c’était vraiment vrai. Je ne dormais plus que quelques heures par nuit. J’étais comme maniaque. Je remuais ciel et terre (mon réseau en fait, beaucoup plus grand que ce que j’imaginais) pour trouver des masques à donner aux soignants, pour fabriquer et donner du gel. À l’inverse, je vivais bien le confinement, convaincue que nous irions forcément vers une stratégie dite aujourd’hui « zéro covid » qui me semblait la seule issue évidente et raisonnable. Je pensais qu’on serait confinés jusqu’à l’automne 2020, et qu’après, tout redeviendrait comme avant. On aurait vécu un sale truc, mais on l’aurait vaincu proprement.

C’est là que pour expulser partie de la souffrance de mon cerveau, les longues nuits d’insomnie, j’ai inventé le personnage de Ministre du Confinement et du Tri. Tout le monde avait peur de dire « tri » à l’époque ; les journalistes questionnaient, les Directeurs d’établissement disaient que jamais ô grand jamais on ne trierait, les réanimateurs disaient qu’on avait toujours trié de toute façon mais que c’était pas vraiment du tri. Je pensais bien sûr aux patients non covid qu’on annulait (moi incluse) mais je me disais que c’était tellement temporaire que la casse serait peut-être limitée à un truc environ acceptable puisqu’inattendu. Alors j’ai joué avec ce fameux tri, j’ai écrit plusieurs billets de blog« en tant que Ministre ». J’ai inventé une classification de tous les français. Ça me faisait me rendre compte que c’était totalement absurde et que jamais en France ni heureusement ailleurs dans le monde on en arriverait là. Je trouvais le  DG de l’OMS  incroyable (je le trouve toujours) et j’avais confiance en sa gestion. J’étais profondément choquée de tout ça (je remercie bien bas mes neuroleptiques) mais j’étais optimiste (encore merci mes neuroleptiques). Je trouvais que le monde entier, solidaire, affrontait, prenait ses responsabilités, même si certains dirigeants se démarquaient tristement, mais qu’heureusement les gouvernants locaux parvenaient à les contrebalancer.

Et puis il y a eu Monsieur Déconfinement en France. Trop rapide, mal préparé, toujours pas de masques, pas humilité, pas de dialogue avec les pays qui avaient déjà eu à gérer un SRAS (Taïwan par exemple). Il y a eu un remaniement ministériel pour oublier vite tout ça, les changements de la loi Travail (?!), s’occuper vite de reprendre la réforme des retraites et du chômage, plus personne qui ne parlait du covid, la crise était passée on avait eu 30 000 morts c’était dommage mais c’était imprévisible, fallait que chacun écrive son bouquin sur la gestion de la crise qui sortirait à la rentrée de septembre, aller de l’avant c’était ça l’histoire de l’humanité après tout. Il y a eu les fameux égos  « il n’y aura pas de 2ème vague » émanant tant de la bouche de « grands scientifiques » que de ma tantine stylée ou de mes amis bien élevés. J’ai voulu voir personne. J’étais dégoûtée. Des gens bien comme ceux de Stop-Postillons m’ont aidée à tenir. Ça, c’est pour la partie France.

Mais y a eu tout pareil dans plein d’endroits du monde. Avant la maladie, je voyageais beaucoup, je m’étais fait plein d’amis. Je leur ai écrit davantage. C’était dur d’avoir des nouvelles du Brésil, des États-Unis, de l’Inde. Ça me faisait du bien de parler à mon amie Taïwanaise. Elle me rassurait, elle me disait que c’était normal cette période d’« erreurs », qu’une fois qu’on aurait tous bien morflé comme Taïwan à l’époque du SRAS, on finirait par s’adapter. Parce que c’est long de changer des comportements et surtout des certitudes.

Il y a eu la 2ème vague. J’ai ressenti un truc méga bizarre. Je me suis sentie profondément bien, rassurée. Je me suis dit que tous ceux qui n’avaient rien compris, ou qui se prenaient pour Dieu avec leurs prévisions optimistes et assurées (vous vous souvenez, l’époque des « rassuristes » ? ), tous ceux-là on ne les entendrait plus, et enfin on deviendrait humble face à ce satané petit virus qu’on connaît si mal, et on s’adapterait donc beaucoup mieux, et alors on ne ferait presque plus d’erreurs.

Mais l’être humain est coriace. Il y a eu ce plateau qui s’est jamais calmé, dont on s’est contenté, et ensuite,  forcément, une 3ème vague. Cette fois, je ne peux pas dire que je ça m’a fait du bien. Je vois des gens qui avaient bien tenu moralement jusqu’à maintenant, craquer maintenant. J’ai mal pour eux. Je vois tous ces soignants épuisés. J’entends mes amis brésiliens me dire que même ceux qui avaient eu les moyens de prendre leur précautions toute leur vie avec des assurances privés leur permettant d’être soignés dans le privé, savent qu’ils ne pourront pas être soignés. Au Brésil, pire que les brancards entassés dans des couloirs, on voit des photos de patients mourant au sol, les soignants assis par terre.

On entend qu’en France la 3ème vague sera pire que la première. Je repense à Rémi Salomon, qui était venu exceptionnellement sur le plateau de Quotidien dire qu’il ne voulait pas, pendant la 2ème vague, avoir à choisir entre prendre un charge un patient covid ou un accidenté de la route. Je me souviens de combien il avait été si injustement moqué quand il avait suggéré que papi et mamie mangent la bûche de Noël séparément du reste de la famille. Je lis les responsables de crise de l’Assistance Publique écrire désespérés dans le Journal du Dimanche du 28 mars 2021. Le mot « tri », est maintenant prononcé avec grande peine mais en toute normalité. On va devoir trier, c’est comme ça, c’est la pandémie c’est la guerre, c’est le jeu ma pauvre Lucette.

Le jeu que j’avais inventé il y a un an, cette grande classification des français pour ce tri que je ne croyais jamais possible, du moins pas en France, grande naïve que j’étais, est devenue la banale réalité.

Soupir.

Share

« Vivre avec le virus »

La première fois que j’ai entendu « il va falloir apprendre à vivre avec le virus », c’était avant le premier confinement de mars 2020. Ma généraliste me conseillait (en consultation physique à l’époque, sans masques) de reprendre mon immunosuppresseur pour ma maladie inflammatoire articulaire, malgré mon infection virale pulmonaire du moment. On avait très vite conclu que ce n’était pas le coronavirus parce que je toussais depuis beaucoup trop longtemps (3 mois).« Il y a beaucoup de virus qui respiratoires qui traînent en ce moment », m’avait-elle dit, « vous en avez probablement enchaîné plusieurs ». J’avais très peur de reprendre mon immunosuppresseur parce que quand on l’avait introduit au tout début de mon infection pulmonaire, 3 mois auparavant, j’avais cru mourir des poumons. J’avais donc décidé que pesaient plus lourd dans la balance mes poumons que ma maladie inflammatoire articulaire.

J’avais bien peur aussi du fameux nouveau coronavirus, parce que je trouvais que j’avais déjà enchaîné un paquet de virus respiratoires en 3 mois. Alors j’avais trouvé ma généraliste bien cavalière avec son « apprendre à vivre avec le virus ». Puis, je m’étais dit : « Non mais c’est normal, elle a le recul nécessaire du Docteur ». Je m’étais dit qu’« apprendre à vivre avec le virus », c’était continuer de soigner les autres maladies en fait. C’était aussi s’adapter, oser, prendre des mesures nécessaires même fortes, ne laisser personne de côté. Je l’avais trouvée grave stylée ma MG.

Puis pendant les 4 mois qui ont suivi, il y a eu, le tiers de la planète confiné, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt comme des autruches, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt -d’après moi – comme des humains raisonnables. Et, pendant les 4 mois qui ont suivi, la phrase « vivre avec le virus » est ressortie d’autres bouches que celles de ma MG, de plein de bouches, de toutes les bouches en fait.

Les plutôt humains raisonnables qui prenaient des mesures fortes disaient « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va souffrir un peu un temps, et ensuite sans le virus, on sera bien.

Les plutôt autruches qui ne prenaient aucune mesure disaient aussi « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va continuer de vivre normalement, on sera bien.

Et là j’ai commencé à flipper. J’ai imaginé que « vivre avec le virus »  ça pouvait peut-être vouloir dire « il va falloir s’habituer aux morts ». Je me suis dit que c’était impossible. J’étais parano, c’était immoral, c’était cracher au visage de l’éthique, c’était mépriser son prochain, c’était se foutre des vieux, des faibles, de tous, bref, j’étais parano. Le monde c’était pas ça, j’exagérais.

On arrive 1 an après le « vivre avec le virus » de ma MG adorée. On l’entend encore dans plein de bouches.

Les hôpitaux sont saturés. On a déprogrammé plein de gens. Le virus est devenu nosocomial même avec les masques. On n’isole pas les soignants quand ils sont positifs.

J’écris depuis la France. Y a des pays où c’est vraiment mieux, y a des pays où c’est vraiment pire.

Aujourd’hui, en France, y a, je sais même plus combien, allez 300 morts par jour. Aujourd’hui la « bonne situation », ce serait 5000 cas par jour. J’arrive pas à y croire. J’ai l’impression d’avoir changé de dimension. De vivre dans ma paranoïa.

Je sais qu’il y a des gens qui ne veulent pas toute cette mort.

Mais il y aussi plein de gens qui disent avoir « appris à vivre avec le virus » et en être fiers. Mais quelle belle preuve de résilience ! Pour eux, « apprendre à vivre avec le virus », c’est bien devenu apprendre à accepter tous ces morts. Nos proches, nos moins proches, des gens célèbres, des inconnus, des vieux, des jeunes, de tout en fait. C’est comme ça. C’est une pandémie. C’est une fois tous les 100 ans. Faut bien continuer de vivre.

« Vivre avec le virus », cette phrase ne cessera de me torturer, jamais.
L’entendre, c’est chaque fois une petite mort en moi, toujours.

Share

Je fais des petits pipis, toujours des petits pipis

Je suis la pisseuse de Paris
La meuf qu’on croise et qu’on regarde faire pipi
Y a du coronavirus sur la Terre
Drôle de misère
Pour tuer l’envie de pipi je fais cachée tout au fond
Des gros pipis tous ronds

Eh oui dans des recommandations pourries y a écrit
Que les toilettes doivent être fermées aux pipis
Pendant ce temps alors je fais la zouave
Entre deux épaves
Paraît que y a pas de sot comportement
Moi je pisse dehors je peux pas faire autrement.

Je fais des pipis, des petits pipis, encore des petits pipis
Des petits pipis, des petits pipis, toujours des petits pipis
Des pipis de seconde claaaaaaasse
Des pipis de première claaaaaaasse
Je fais des pipis, des petits pipis, encore des petits pipis
Des petits pipis, des petits pipis, parfois des gros pipis
Des petits pipis, des gros pipis,
Des petits pipis, des gros pipis

Je suis la pisseuse de Paris
Les toilettes sont fermées pissez donc ici
Nous vivons en société sur notre belle planète
Mais peu importe j’ai dans la tête
Une sacrée envie de pipi
Et je la soulage dans la rue en catimini

Et regardant mon pipi d’infortune
Je vois briller le coulis sur le bitume
Parfois je rêve je divague
Je vois des toilettes ouvertes
Et dans la grisaille de la ville verte
Je vois des portes de toilettes s’ouvrir et me sourire

Pour me sortir de ce pipi qui m’asservit
Des petits pipis, des petits pipis, toujours des petits pipis
Mais les responsables des toilettes fermées se taillent
Et je vois que ma vessie qui n’en peut plus déraille
Et je reste dans ma rue à faire des petits pipis
Des petits pipis, des petits pipis, parfois des gros pipis
Des petits pipis, des gros pipis,
Des petits pipis, des gros pipis

 

Ouvrez-les toilettes !!!

PS : ça marche aussi avec caca

PPS : les autres aussi en parles : My Little Paris newsletter du 4 mars 2021

PPPS : sinon pour oublier un peu tout ça : Le poinçonneur des Lilas

Share

La charge mentale

Je prends un médicament A toutes les 2 semaines. 2h avant la prise de ce médicament, je dois prendre un autre médicament B.
Je prends un autre médicament C toutes les 2 semaines, mais à une semaine de distance du médicament A. 2h avant la prise de ce médicament C, je dois prendre le médicament B.
Je prends un médicament D une fois par semaine.
Je prends un médicament E tous les jours sauf le jour où je prends le médicament D.
Je prends un médicament F immédiatement au lever. Ensuite je dois reprendre ce même médicament F 4h après la première prise de F, puis encore un autre comprimé de ce médicament F, 4h après la deuxième prise.
Je prends un médicament G 30 minutes avant chaque repas, et au minimum 2h après un repas.
Je prends un médicament H toutes les 6 semaines.
Je prends un médicament I tous les matins, environ 2h après le réveil.
Je prends les médicaments J, K, L, M, N tous les soirs.
Je prends les médicaments O et P tous les jours pendant 25 jours puis je fais une pause de 3 jours et je les reprends.
Je prends le médicament Q matin et soir.
Je prends le médicament R matin midi et soir, à au moins 5 minutes de distance avec le médicament Q.
Si besoin, je peux prendre les médicaments S, T, U le soir, soit environ 2 fois par semaine.
Je dois toujours avoir sur moi les médicaments V, W, X en cas d’urgence.

Share

Pourquoi signer la pétition pour un nouveau calcul de l’AAH

Bon, c’était une histoire banale d’amoureux. Ma copine Justine, IMC, en fauteuil depuis toujours, me parle de ce garçon, qui d’abord était censé juste être payé pour l’aider dans sa vie de tous les jours. Ma copine Justine est étudiante, et il arrive souvent que des étudiants (valides) fassent ces petits boulots d’aide à la personne pour participer à financer leurs études. Justine payait sa ribambelle d’étudiants à son service grâce aux aides de la MHPD, de la CDAPH, de…je sais plus trop. Elle gérait comme une véritable petite entreprise cet argent destiné à ses employés. Et pour ses frais de vie à elle, y avait une allocation adulte handicapé, maigre mais tant pis.

C’était un beau brun, Julien. Regard ténébreux, classique mais efficace, je le croisais à chaque fois qu’on se voyait avec Justine. Il l’accompagnait pour qu’elle passe du bon temps avec moi, puis il venait la chercher quand on se quittait. C’est vrai qu’il était…lumineux. Le genre de personne qui te marque. Moi aussi j’avais l’impression d’être un peu amoureuse de lui. Moi aussi, parce que Justine l’était. Et c’était réciproque. Son ange gardien lui avait fait une déclaration à demi-mot, perdu entre la réserve imposée par son devoir professionnel, déboussolé par les sentiments amoureux qui font tourner la tête de n’importe quel humain.

Le temps a passé. C’était toujours la même distance entre Justine et Julien. Et moi je me gardais bien de me mêler de leurs choix de vie respectifs. Julien a fini par finir la fac. Bac +5, avec la diplomite que le marché adore maintenant, il a vite trouvé un job, 1700 nets mensuels. Maigre surtout en région parisienne, mais tant pis. C’est là que vivait Justine. Il n’était plus à son service, mais ne voulait pas s’éloigner d’elle.

Le temps passait encore. Je voyais une Justine triste, qui s’accrochait aux études, mais comme cela semblait difficile. Trouver un logement adapté où l’on pouvait aller à la fac en bus ou bien par les seules 2-3 lignes de métro accessibles aux fauteuils. Ne pas aller en cours les jours de pluie. Ne pas aller en cours quand l’ascenseur de l’amphi ne fonctionne pas. Ne pas trouver de stage obligatoire. Bref, dans ma tête Justine roulait avec son nouveau fauteuil tactile qu’elle avait payé en partie de sa poche, dans un désert aride où personne ne la voyait, et où elle ne voyait pas une oasis à l’horizon.

Un jour, je décide de lui reparler de Julien, pour voir. Il avait pris un appartement accessible exprès pour elle. Il lui avait offert un pendentif, puis une bague. « Ce n’est pas une demande en mariage » avait-il précisé délicatement. Julien aussi était malheureux, alors. Il voulait vivre avec ma copine Justine. Et c’était réciproque. Naïve, moi, je déroule alors à Justine un discours sur la confiance en soi, la difficulté pour tout le monde de sauter le pas, les avantages de la vie à deux, et blablabla. Je vois l’oasis pour Justine, elle va être heureuse enfin.

« – Je vais perdre mon AAH.
– Tu vas perdre quoi ?!
– Si je vis en couple avec Julien, je n’aurai plus droit à mes 900 euros d’AAH. J’ai trop besoin de cet argent. Il a payé en partie mon nouveau fauteuil, il paiera le suivant… »

Justine m’explique que son droit à l’AAH, son AAH si précieuse, est calculé à partir des revenus du couple quand on vit en couple. Son Julien gagnant 1700 euros nets, elle perdrait son AAH. Elle avait espéré pourtant qu’il trouve un emploi moins bien payé…Mais tant pis  pour elle et tant mieux pour lui, avait-elle dit. « C’est pareil pour nous tous, de toute façon ».

Sidération.

Aujourd’hui, une pétition est en ligne sur le site du Sénat pour envisager de réétudier ce mode de calcul. Ce mardi 12 janvier, 55% seulement de l’objectif de signatures a été atteint. Il manque 44331 signatures pour que peut-être quelque chose change ; il reste 57 jours pour que peut-être quelque chose change.

Pour Justine, pour Julien, pour les autres, pour tous en fait, SIGNONS !

 

Pour suivre l’avancée des chiffres : le compte twitter dédié objectifautobot ici
À écouter aussi : le billet de Nicole Feronni du 9 décembre 2020

Share

Les zones de confort

Bon, hier, joli dimanche d’hiver, rayons chatoyants du soleil couchant…Non je rigole, je vais pas dire chatoyant, c’est pas dans ma zone de confort.

Donc hier, pour la première fois depuis 2 ans, je sors courir. J’ai repris il y a quelques semaines, du fractionné 30 secondes/30 secondes pendant 2 minutes, puis 3, puis 4 ; les gens se disaient « ah ben tiens les voilà de retour les joggeurs du confinement 2 ».

2 ans sans courir, dont 1 an de béquilles, un peu de fauteuil. 2 ans de douleurs, de fonte musculaire, de kinésithérapie, d’efforts, de lassitude, d’impatience, de colère, de tristesse. Dans ma tête tout ça. Pas écrit sur mes baskets.

Donc hier, j’ai couru 20 minutes d’affilée, comme un escargot, mais un escargot qui monte à 180 pulses quand même. Je me suis fait doubler par tous les joggeurs du coin, ils devaient se dire « pfff mais elle laisse tomber, qu’elle choisisse un autre sport et surtout qu’elle arrête de manger ahahaha ». J’avais de l’adrénaline de partout, j’avais envie de serrer tout le monde dans mes bras, de sauter à l’envers, de faire des figures de Yamakasi.

Et puis à la fin des 20 minutes, je m’arrête, je marche, je récupère. Je contrôle mon cardio, ça descend bien, je kiffe ma life. Y a toujours du soleil qui me chatoie, j’ai toujours envie d’embrasser tous les promeneurs, de lever les bras en l’air comme les sportifs font quand ils gagnent la coupe là.

Et soudain, v’là ti pas qu’un petit malin vient briser ma rêverie marchante : « Eh oh vous là, je vous ai vu vous arrêter !! » me alpague-t-il. « Je vous ai vu là courir puis vous arrêter, c’est pas bien ça, faut sortir de sa zone de confort, faut arrêter de procrastiner » poursuit-il, binouze à la main, ti oinj au bec, oklm.

J’ai eu un peu de peine à me débarrasser de se badaud pas forcément mal intentionné. Peut-être son p’tit jeu du jour que de parler à n’importe qui, une façon de sortir de sa zone de confort ?

Personne ne sait où est la zone de confort de l’autre. À moins d’être à son écoute ?

Share

La valeur des êtres

Aujourd’hui, j’ai passé toute ma journée sur le canapé, à ne rien faire. Maladie éternelle, peine sempiternelle. À 30 ans, je suis condamnée à l’immobilisme.

Ces journées canapé, je les appelle mes journées « pourries ». Et dans la société qui m’a façonnée, elles me font me sentir terriblement inutile. En effet, aujourd’hui, à la fin de ma journée, quel bilan ? quel apport ? à qui ? ou même, combien d’argent ?

Je me souviens d’un reportage récemment, où l’on montrait des réanimateurs qui faisaient des points réguliers sur des patients hospitalisés covid. La question à chaque fois c’était : « On continue les soins ou on arrête ? ». On en vient à discuter de Madame M, 70 ans : son état se dégrade avec régularité, ça commence à faire 3 semaines qu’elle est hospitalisée en réanimation, ça va être dur pour elle de s’en remettre si on continue. Et là, quelqu’un de dire : « Malgré son âge, c’est quand même une dame autonome qui s’occupe de ses petits-enfants ». Et un confrère de répondre « Alors on continue les soins ».

On y était, Madame M était utile. À la fin de ses journées, avant son covid, Madame M pouvait se satisfaire de ne s’être jamais assise sur le canapé, et même :
-d’être allée chercher ses 2 petits-enfants chez sa fille à 7h30
-de les avoir gardés jusqu’à 8h20 puis de les avoir déposés à l’école
-d’être allée les chercher à 16h30
-de les avoir gardés jusqu’à 20h, les accompagnant avec amour dans les devoirs, le bain, le repas du soir et le coucher.

Madame M était utile à sa fille, utile à ses petits-enfants, donc utile à la société. Économies d’argent grâce à elle, amour gratuit grâce à elle.

Madame M méritait donc de vivre.

Je me suis alors imaginée à la place de Madame M. J’aurais attrapé le covid, et je serais là, à 30 ans, hospitalisée en réanimation, à me dégrader progressivement. Ce serait le jour du point régulier sur les patients hospitalisés. « Madame Manon, ça fait déjà 3 semaines qu’elle est hospitalisée en réanimation, qu’est-ce qu’on fait ? ». Et là, quelqu’un dirait : « Malgré son jeune âge, Madame Manon c’est quand même une dame dépendante qui passe des journées entières à ne rien faire sur son canapé ».

On déciderait donc que Madame Manon n’était pas vraiment utile.
On penserait que Madame Manon n’avait pas vraiment besoin de vivre.

À tous les inutiles.

 

PS : ce billet a été repris en mai 2021 par la revue médicale Prescrire. On m’a demandé si un titre plus inclusif était envisageable (le titre initial était : « La valeur des hommes ») et j’ai donc donné mon accord pour « La valeur des êtres ». J’avais déjà beaucoup réfléchi au titre avant. Naturellement, l’inclusion pour moi, c’est l’évidence. Mais le mot « homme » existe. J’ai vérifié sa définition dans plusieurs dictionnaires, et le Littré par exemple indique bien en définition 2 : « L’homme, l’être humain en général. » Je suis très attachée à la richesse de la langue française d’une part, et d’autre part à la douceur phonétique qu’offre le mot « OM » en une syllabe, simple, miroir de notre fragilité. Enfin, l’ouvrage « Des souris et des hommes » a marqué notablement tout mon « parcours de curiosité culturelle », donc ce titre est pour moi un façon de rendre hommage à la plume merveilleuse de Steinbeck.

Share

Le classeur médical

Bon. Ça va faire 12 ans que je suis malade. Les premiers symptômes vraiment bruyants en septembre 2008, et un premier diagnostic assez vite, en 2009, qui avait permis d’avoir accès à des gros médicaments, des « bazookas » comme disait le Docteur, tout fier déjà à l’époque d’utiliser le champ lexical de la guerre. J’avais 22 ans. J’ai eu de la chance, 22 ans c’est ni trop jeune (enfance tranquille) ni trop vieille (cerveau qui mémorise). Donc, jusqu’à aujourd’hui, je n’avais jamais fait de classeur médical digne de ce nom. Presque tout dans la tête. Quelques antisèches sur l’appli Notes du smartphone (mes 12 AG, mes 12 fractures spontanées), des pochettes par-ci par-là, entamées un jour, abandonnées toujours.

Un fois en 2016, un Docteur sympa m’avait dit : « je suppose qu’avec tous vos problèmes, vous devez avoir un gros classeur avec tous les documents médicaux bien rangés. » C’était le genre de Doc ultra bienveillant. Le très jeune qui n’a pas encore eu le temps de voir éventuellement son melon pousser et ses certitudes s’enraciner. Pas le genre à dire « Oh là là Madame un classeur médical mais vous êtes une psychopathe une patiente MGEN une névrosée ».

Eh oui, parce que ça arrive que plein de gens – tout simplement organisés – aient des classeurs médicaux. Après tout, normal. On a environ tous un classeur banque, électricité, internet, scolarité, diplômes, urssaf etc. On a même un carnet de santé pour les vaccinations de son furet de compagnie. Alors pourquoi pas un classeur médical ? Y compris comprenant des vieilles ordonnances de paracétamol ou des biologies normales de y a 10 ans ? Oui parce que pour plein de gens, le Paracétamol c’est aussi important que le Glivec, parce que ce n’est pas leur compétence de différencier des molécules. Pareil pour les biologies. Plein de gens ne savent pas si elles sont normales, si même vieilles elles peuvent être utiles plus tard. Bref, ces « gens à classeur » sont stylés et ne méritent pas, me semble-t-il, moqueries et/ou blâmes.

Maintenant je reviens plus particulièrement sur les énormes triples classeurs médicaux des gros patients, dits « poly-pourris » n’est-ce pas, avec beaucoup de problèmes ; les problèmes étant souvent traités indépendamment par des médecins de spécialités hermétiques les unes des autres. Eh bien je vous assure que ce genre de gros classeurs, ils font mal. Ils font mal à organiser. Ils font mal à trimbaler. Ils font mal à montrer à quelqu’un.

En effet, qui aime être malade ? Personne.

Aujourd’hui, j’ai acheté des intercalaires pour commencer mon vrai classeur médical, digne de ce nom, délester ma mémoire, peut-être alléger ma charge mentale. Comme une fleur, j’ai acheté 12 intercalaires, ce serait 1 intercalaire par spécialité médicale, parce qu’avec ma maladie systémique poly-pourrie, l’interniste veut que je continue de me balader chez tous ses Chers Confrères spécialistes. J’ai pensé au magasin, avec un fort dédain : « 12 intercalaires pour mon classeur ?! mais c’est beaucoup trop ! ».

Et puis chez moi j’ai commencé à trier, lentement, le gros bordel en vrac qui s’était environ accumulé dans un gros tiroir depuis 12 ans. Après quelques minutes de ce rangement tant redouté, je m’aperçois que les 12 intercalaires ne suffisent pas…Il va falloir un second classeur, et davantage d’intercalaires…En 12 ans, je n’avais jamais capté que je voyais plus de 12 spécialistes. Gros coup dur. Voilà peut-être en partie pourquoi je ne voulais pas faire ce foutu classeur médical.

Derrière chaque classeur, si mince soit-il, si gros soit-il, il faut toujours percevoir : une souffrance. Et forcément à un moment, de l’inquiétude, sur le passé, sur l’avenir. Accueillons ces classeurs médicaux sans jugement, sans commentaires. Contentons-nous tous, soignants et soignés, d’en faire bon usage : pour le soin.

Share

Deuxième vague, pas deuxième vague, et blablabla

Bon. Fin juin 2020. On regarde la courbe du coronavirus en France, ouf, c’est une gaussienne, tout le monde est content parce qu’on est vers le bas de la courbe, et un pic (un maximum local) a été passé. Ouf ouf « la crise est finie ». Ouf ouf on a été très courageux. Ouf ouf on mérite une belle récompense. Des médailles des badges, et puis surtout, au placard le masque, c’est relou c’est chiant ça gratte.

De toute façon maintenant c’est bon, les médecins ont dormi, les internes ont fait leurs premières semaines dans leur nouveau service, le SAMU est désaturé, ouf ouf si j’ai le virus ben j’irai à l’hôpital et puis voilà, c’est mon droit mon choix.

Contaminer les autres ? J’m’en fous c’est bon ça va. Personne ne saura que c’est moi d’abord. Et puis c’est bon maintenant, y a de la place à l’hôpital.

Alors. Y aura-t-il, y aura-t-il pas, une deuxième vague ?

Docteur Le Savant qui est un grand urgentiste infectiologue dit qu’il n’y aura pas de deuxième vague parce qu’on est tous immunisés parce que les chiffres qu’on a ne sont pas les bons, et parce que Docteur Le Savant, ça fait 30 ans qu’il est médecin, c’est pas à un vieux singe qu’on va apprendre à faire la grimace. La médecine (et le reste), il sait mieux que tous les autres.

Mais quand même y a Professeur Leplufor qui est infectiologue épidémiologiste et qui dit attention il y aura une deuxième vague parce que c’est comme ça que ça c’est passé en 1918 et que lui il sait mieux que tout le monde parce que son grand-père Leplufor était un aussi un épidémiologiste microbiologiste en 1918.

Et puis après y a Docteur Influenceur qui a 100 000 abonnés sur Twitter et qui dit que blablabla blablabla blablabla.

C’est marrant tout ça. De mon côté, mon côté de patiente avec une maladie qui fait « des vagues » depuis 10 ans, à chaque fois que je demande à un médecin ce qui va se passer dans le futur pour moi, je me fais recadrer ni une ni deux : « MADAME je suis médecin je n’ai pas une boule de cristal ! ».

Et maintenant des boules de cristal fleurissent de toutes parts. J’aimerais bien soumettre à tous ces grands experts qui ont sorti leurs super pouvoirs, mon avenir. Qu’est-ce que ce serait pratique. Mais serait-ce vraiment pertinent ?

La maladie imprévisible m’a appris un truc. On ne peut rien prévoir, sauf prévoir l’imprévisible : on sait qu’on ne sait pas ce qui va se passer.

Peut-être ce sera une grosse vague, peut-être une petite vague, peut-être un gros pâté, peut-être un château de sable, peut-être une fonction affine, une fonction escalier, une fonction cube, une sinusoïde au carré, une asymptote, une limite infinie à l’infini.

Je me demande d’où vient cette fascination pour les vagues et autres prédictions plus ou moins mathématiques.

Tout ce que je vois c’est qu’on teste et qu’on trouve du virus. On en trouve plein. Il est toujours là. Pas besoin d’être Madame Irma pour constater ça.

Ni même Docteur Le Savant, Professeur Leplufor, ou Docteur Influenceur.

Le virus est toujours là. Protégeons-nous c’est tout.

PS : il est prouvé scientifiquement qu’on ne sort pas toujours vivant de l’hôpital. Le coronavirus est parfois mortel.

Share

Le savoir vivre au temps du coronavirus

Bon. Ça y est les gens ressortent un peu. On me demande : « Alors ça y est tu sors ? » Et moi je réponds : « Ça y est, je ne sors plus. » Tiens, mais pourquoi ça ?

Pendant le confinement, il n’y avait personne dans les rues, personne chez le médecin, personne au labo d’analyses, personne au centre d’imagerie. Du moins, pas beaucoup de monde. Quel bonheur d’avoir tout le trottoir pour soi en fauteuil roulant. Quel bonheur de ne pas attendre chez le médecin. Des chaises partout, en veux-tu en voilà.

Et puis ensuite, déconfinement oblige, les gens sont ressortis. Bien sûr, il fallait bien qu’ils sortent. Ça les avait soûlé cet enfermement. Puis fallait qu’ils sortent avec un masque, alors ils étaient vénère intérieurement. Ça gratte ici, ça irrite là, vraiment chiant quoi. Décidément la maladie, comme c’est pénible. Elle nous maintient à la maison, elle nous irrite le visage et le cerveau, parfois même elle tue, et alors on est vraiment triste. Bref, la maladie, « c’est devenu l’affaire de tous ».

Dans un premier temps j’ai pensé : « hummm mais très bien, très bien, les gens vont enfin comprendre ce que c’est que de subir la maladie ».

Et puis j’ai compris ce qui s’est passé vraiment dans les têtes. Ça y est. La maladie, on la subit tous. On doit tous faire la queue pendant des heures à 1 mètre de distance chacun. Ça casse les couilles. Tout ce temps perdu à attendre à faire la queue. En profiter pour méditer ? Foutaises.

Ah tiens, y a un Papy dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. Il a le dos tout courbé. Il regarde par terre. Il a un masque mal mis, ça couvre un peu tout son visage, je ne sais pas s’il va bien. Ses jambes bougent nerveusement même s’il fait du sur place. Il se tortille le dos. Il regarde toujours par terre. PAPY A MAL.

Ah tiens, y a une nana en fauteuil roulant dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. Une jolie gonz sur le fauteuil, elle me fait penser à « ma copine Pauline« .  Elle fait du téléphone avec un seul doigt, elle a les poignets tous tordus. Elle a de la chance avec sa petite chaise roulante qui la suit partout. Elle, au moins, elle n’a pas mal debout, comparé à Papy. Soudain, je la vois qui sort un grand tissu de son sac attaché au fauteuil derrière. Elle recouvre ses jambes avec le tissu, furtivement. Elle s’était FAIT PIPI DESSUS.

Ah tiens, y a un gars avec des béquilles dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. C’est un jeune homme beau et pas gros. Probablement un sportif de haut niveau qui s’est blessé à l’entraînement. Ça ne doit pas lui poser problème à lui, les béquilles, il a de la force. Dans quelques semaines, il sera guéri et il va galoper comme un lapin. Il s’est appuyé contre un petit muret pour continuer à faire la queue avec ses béquilles. Franchement il gère. Ça va bientôt faire une heure qu’on attend, qu’est-ce que c’est lonnnnnng. Et puis soudain, v’là que le jeune avec les béquilles s’en va. Il abandonne la queue. Il hésite quand même. Il n’a pas de volonté ni de détermination, c’est une chochotte. 1h pour lui debout et v’là qui fait son caprice. Il S’EN VA.

OK on a tous un masque, OK on ne se fait plus la bise, OK on fait la queue longtemps à 1 mètre de distance. C’est vrai que d’un coup d’un seul, la maladie nous a mis au garde à vous.
Et ce n’est pas rigolo.

Mais n’oublions pas qu’on n’est pas tous égaux face au virus.

Il n’y a pas seulement les facteurs de risques identifiés comme l’obésité le tabac ou l’hypertention qui fragilisent des gens face aux formes graves de la maladie causée par le virus.

Il y a tous ceux qui souffrent des mesures mises en place pour anticiper le virus, comme la queue. Et on peut les aider.

Dans le monde d’avant, le Papy, le fauteuil roulant, les béquilles, la femme enceinte, n’importe qui qui semblait souffrir sans le dire, on l’aidait. On l’aidait à s’asseoir, on le laissait passer, on lui gardait sa place dans une queue pour qu’il se repose à distance.

Dans le monde d’après, toutes ces petites attentions sont toujours possibles ; et même, elles n’ont jamais été aussi nécessaires.

D’avance, MERCI. Vraiment.

Share