La première fois que j’ai entendu « il va falloir apprendre à vivre avec le virus », c’était avant le premier confinement de mars 2020. Ma généraliste me conseillait (en consultation physique à l’époque, sans masques) de reprendre mon immunosuppresseur pour ma maladie inflammatoire articulaire, malgré mon infection virale pulmonaire du moment. On avait très vite conclu que ce n’était pas le coronavirus parce que je toussais depuis beaucoup trop longtemps (3 mois).« Il y a beaucoup de virus qui respiratoires qui traînent en ce moment », m’avait-elle dit, « vous en avez probablement enchaîné plusieurs ». J’avais très peur de reprendre mon immunosuppresseur parce que quand on l’avait introduit au tout début de mon infection pulmonaire, 3 mois auparavant, j’avais cru mourir des poumons. J’avais donc décidé que pesaient plus lourd dans la balance mes poumons que ma maladie inflammatoire articulaire.
J’avais bien peur aussi du fameux nouveau coronavirus, parce que je trouvais que j’avais déjà enchaîné un paquet de virus respiratoires en 3 mois. Alors j’avais trouvé ma généraliste bien cavalière avec son « apprendre à vivre avec le virus ». Puis, je m’étais dit : « Non mais c’est normal, elle a le recul nécessaire du Docteur ». Je m’étais dit qu’« apprendre à vivre avec le virus », c’était continuer de soigner les autres maladies en fait. C’était aussi s’adapter, oser, prendre des mesures nécessaires même fortes, ne laisser personne de côté. Je l’avais trouvée grave stylée ma MG.
Puis pendant les 4 mois qui ont suivi, il y a eu, le tiers de la planète confiné, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt comme des autruches, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt -d’après moi – comme des humains raisonnables. Et, pendant les 4 mois qui ont suivi, la phrase « vivre avec le virus » est ressortie d’autres bouches que celles de ma MG, de plein de bouches, de toutes les bouches en fait.
Les plutôt humains raisonnables qui prenaient des mesures fortes disaient « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va souffrir un peu un temps, et ensuite sans le virus, on sera bien.
Les plutôt autruches qui ne prenaient aucune mesure disaient aussi « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va continuer de vivre normalement, on sera bien.
Et là j’ai commencé à flipper. J’ai imaginé que « vivre avec le virus » ça pouvait peut-être vouloir dire « il va falloir s’habituer aux morts ». Je me suis dit que c’était impossible. J’étais parano, c’était immoral, c’était cracher au visage de l’éthique, c’était mépriser son prochain, c’était se foutre des vieux, des faibles, de tous, bref, j’étais parano. Le monde c’était pas ça, j’exagérais.
On arrive 1 an après le « vivre avec le virus » de ma MG adorée. On l’entend encore dans plein de bouches.
Les hôpitaux sont saturés. On a déprogrammé plein de gens. Le virus est devenu nosocomial même avec les masques. On n’isole pas les soignants quand ils sont positifs.
J’écris depuis la France. Y a des pays où c’est vraiment mieux, y a des pays où c’est vraiment pire.
Aujourd’hui, en France, y a, je sais même plus combien, allez 300 morts par jour. Aujourd’hui la « bonne situation », ce serait 5000 cas par jour. J’arrive pas à y croire. J’ai l’impression d’avoir changé de dimension. De vivre dans ma paranoïa.
Je sais qu’il y a des gens qui ne veulent pas toute cette mort.
Mais il y aussi plein de gens qui disent avoir « appris à vivre avec le virus » et en être fiers. Mais quelle belle preuve de résilience ! Pour eux, « apprendre à vivre avec le virus », c’est bien devenu apprendre à accepter tous ces morts. Nos proches, nos moins proches, des gens célèbres, des inconnus, des vieux, des jeunes, de tout en fait. C’est comme ça. C’est une pandémie. C’est une fois tous les 100 ans. Faut bien continuer de vivre.
« Vivre avec le virus », cette phrase ne cessera de me torturer, jamais.
L’entendre, c’est chaque fois une petite mort en moi, toujours.