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Enchaînée, condamnée : hommage à mon covid long

On l’attrapera à tout jamais…
Enchaînés, condamnés…

Vous vous souvenez de ma petite infection à coronavirus ? Janvier 2022. On n’a jamais su ni comment ni pourquoi. Probablement en allant à la pharmacie, malgré le FFP2, là où tous les covidés s’accumulaient pour se faire tester. C’était mes seules sorties, parce que j’étais KO de ma patho, que j’avais plein de travail intellectuel. Oui oui intellectuel, parce que malgré un corps pourri sacrément limitant, il restait un organe là-haut, dominant, le cerveau, qui fumait à toute allure, me donnant la possibilité de trouver équilibre et épanouissement malgré tout. 

Mes encadrants de thèse m’avaient répété « t’inquiète pas Manon, ok ton corps c’est dur, mais ta tête ça va, ça va même très bien, alors c’est bon ». Moi je leur disais « oui mais un jour peut-être ma tête… » et eux d’affirmer vigoureusement (et je kiffais) « mais nonnn Manon, on pense pas au pire, t’as pas eu de chance jusque là mais maintenant c’est bon ».

C’était bon c’était bon…jusqu’à ce qu’un petit virus de merde arrive sur Terre. Une grippette voire rien pour les uns, la mort pour les autres. Une belle loterie, un joli ménage. Et moi dans tout ça ? Janvier 2022, petit covid de merde, méprisable. J’avais eu 3 vaccins avant, chanceuse. Fière que j’étais, mon covid avait duré 5 petits jours de petits symptômes gastro, alors que mon aidant en pleine santé avait été littéralement terrassé : 10 jours de fièvre intense, 3 mois de toux et d’asthme. Un petit covid long ? Le pauvre, me disais-je. Mais quelle fierté intérieure. Moi, la grande malade, j’avais écrabouillé ce petit virus de merde si dangereux en trois coups de cuiller à pot. J’adhérais presqu’alors à la théorie de la grippette. 

Ce faisant, des trucs bizarres arrivaient tout doucement. J’inversais les mots dans les phrases : « je veux la chaise sur le torchon là en haut vite ». Mais oui « la chaise là en haut vite ça coule ». Et les autres de ne pas comprendre. « Ce que tu dis n’a pas de sens ». Ah ? Ah oui. Ah bon, pardon. 

En même temps, sont venues les fautes d’orthographe. Une chaque deux mots allez, la maîtresse est clémente. « C’est pas grave tkt on est sur les réseaux sociaux on peut en faire ». « C’est pas grave tkt c’est un peu de fatigue ». Emmerdant pour moi, moi qui avait misé toute ma reconversion professionnelle sur une activité cérébrale puisque comme cf supra, mon cerveau de guerre fonctionnait du tonnerre. Je passais désormais 4 fois plus de temps à travailler (oui oui ok j’avoue je me chronomètre) et franchement, c’était méga chiant. 

Et enfin, la mémoire. J’étais devenue une passoire. Je radotais radotais radotais, telle feu ma grand-mère partie accompagnée de son Alzheimer bien serré. Je faisais répéter, je confondais tout, mais en étant absolument sure de mon coup. « Josette, elle est partie je te dis, elle a déménagé ! Je te montre son mail tiens, j’y mets ma main à couper ! Ah…non en fait. » Il allait falloir peut-être commencer à apprendre… l’humilité mémorielle… encore un truc bien pratique pour ma reconversion professionnelle.

J’ai commencé à en parler à mes Doctors habituels. Des internistes, des pneumologues, des nutritionnistes, etc, etc. Attendons 3 mois, qu’on me disait. Puis, attendons 6 mois, qu’on me disait.

J’en ai eu marre d’attendre. Surtout pour mon travail, mon gagne pain. 4 fois plus de temps, 4 fois moins de pain.

Le généraliste, partisan de l’existence vraie de formes de covid long, m’orienta vers un service spécialisé. On m’y prescrit un PET scan cérébral. Au moment des résultats, des étoiles dans les yeux du radiologue. « Madame je crois que je vois votre covid long ». 

Bon ben merde. P’tit choc.

On m’avait prescrit aussi un test à effort. Je ne sais même pas pourquoi. Vous savez, mon nouveau cerveau de guimauve ? J’ai fait confiance au Doctor. J’ai même fait le test dans un service spécialisé dans la prise en charge des covid longs (un autre, le hasard, parfois tout le monde a pas le même matos à l’hôpital public). C’était il y a 12 jours. 12 jours, 22 minutes, 35 secondes. J’ai fait un effort surhumain. Un truc de sportif de haut niveau. 3 médecins m’encourageaient. Ils étaient fiers de ma souffrance. Moi j’étais fière d’être la bonne petite patiente compliante. « Ah voilà Madame il a fallu venir jusqu’ici pour voir que vous en étiez capable !! ».

Et voilà maintenant 12 jours que je vis allongée. La tête dans le sable. La haine dans le nez, la colère dans le sang, le feu dans les veines, mais l’impossibilité de m’énerver. Juste aujourd’hui, la force d’écrire ceci. Des gens gentils m’expliquent que ça ressemble à un malaise post-effort. Je repense à tous ces reportages covid longs à la télé. C’était donc ça ? Mais pourquoi diantre fait-on donc faire des tests à efforts à des gens susceptibles d’en souffrir ? C’est ça, la médecine intelligente ? 

J’ai imaginé un instant mon gastroentérologue, en 2009 : « Madame votre coloscopie montre un beau Crohn, nous allons donc vous faire manger 12 pots au feu dans la journée pour prouver que vous aurez 300 diarrhées en 24h, et ensuite nous referons une coloscopie pour constater que votre intestin à morflé, et notre diagnostic sera posé »

À l’air de l’intelligence artificielle, on aurait pu trouver plus fin. 

Ce soir, je suis invitée chez les voisins. Ils organisent ce que j’appelle exagérément une « covid party » : on fait comme avant on kiffe la vie, on se masque pas on bouffe on parle on aime, juste on prie pour que le petit virus de merde ne soit pas là ce soir-là. J’crois que j’vais y aller. Car 12 jours sur mon canapé toute la journée, à cause d’un petit groupe d’imbéciles qui réfléchissent et agissent comme au moyen-âge, c’est beaucoup trop pour mon cerveau, même avec ma nouvelle mémoire de tout petit moineau.

Je resterai rancunière, quitte à prendre des notes très amères ! 

À bon entendeur, ne faites pas de tests à effort, et surtout, quand vous pouvez partout, masquez-vous ! 

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Aider l’aidant : Taisez-vous Madame ! 

Petite femme fragile que je suis. Sexe inférieur, chose malade, bien habituée à la chose. Mon aidant en difficulté de santé en ce moment, ni une ni deux j’use de mon talent de téléphonage aux hôpitaux injoignables, de brossages de poils d’agent d’accueil (parfois géniaux) pour avoir des rdv plus tôt, et bingo j’obtiens un rdv pour le lendemain.

2 jours que je suis au lit, malade++ comme on dit. Mais l’aidant souffre aussi. Alors faut aider, après tout, pourquoi y aurait-il forcément un aidant mâle fort infaillible, et une malade femelle fragile maigrichonne palotte incapable ? Je m’extirpe du lit, j’avale 40 mg de cortancyl de bon matin, histoire de foutre sa claque à l’inflammation pour aider l’aidant si méritant depuis longtemps, et je me traîne avec lui jusqu’à l’hôpital. 

« Mon épouse peut-elle venir avec moi en consultation ? » demande-t-il.

On demande toujours, c’est poli.

Gêne du Doctor : « euh oui euh je sais pas euh comme vous voulez euh ».

Bon y a deux chaises en face de son Grand Bureau, ça semblait prévu pour 2. Tout va bien. 

L’interrogatoire commence. L’aidant n’a pas l’habitude du Doctor, contrairement à moi (faut bien être malade et expert en quelque chose), il se sent en garde à vue, il bafouille il oublie il bégaye : je l’aide. C’est ça être aidant non ? Pour aider ?

Rarement, lui, vient en consultation avec moi, car je veux épargner sa charge mentale. Mais parfois, si je suis très mal, si un médecin est très gentil depuis longtemps, ou très méchant depuis longtemps, mon aidant vient. Si je suis très mal, il retient ce que j’oublie, parle pour moi. Si c’est un médecin très gentil, on rigole un peu c’est stylé. Si c’est un médecin très méchant, mon aidant grand mâle musclé homme blanc chef de maison me protège du Docteur Patriarche malfaisant malaisant. Bref c’est tout bénéf, un aidant. 

Puis rentre le Supérior du Doctor 1. Doctor 1 l’a briefé, il a surement aussi placé que MADAME prenait un peu trop de place dans la sacro-sainte consultation.

On salue tous deux très poliment Doctor Supérior. Il fait peur il reste debout il s’assoit pas, on sent que faut terminer ça rapidos. Il s’excuse du retard il a l’air sympa quand même. Il recommence l’interrogatoire à mon aidant malportant. Sous l’effet du stress, ça bafouille, ça se trompe, ça dit des choses fausses.

Alors je me dis : Mais tiens, je suis là moi, pour aider n’est-ce pas ? On m’a laissé entrer, m’assoir, dire bonjour tout ça. Alors j’ose parler pour aider. Mais sans lever la main comme à l’école. On est entre adultes à l’hôpital normal.

Et Doctor Supérior d’asséner d’emblée : « Taisez-vous Madame, laissez parler Monsieur. »

Et voilà Monsieur encore plus décontenancé, de continuer à bégayer, à hésiter, à se tromper. Mais la dinde de la farce est venue pour agrémenter le paysage, elle doit fermer sa grande gueule. Elle a pris le rendez-vous, elle s’est déplacée, mais de quoi se mêle-t-elle en plus ?

Remerciée de ma présence d’un tel affront, je suis partie la tête basse, sans remercier ces garants d’une société où la femme doit sans faille rester à sa place. C’est-à-dire le cul posé sur la chaise d’à-côté, la gueule bien fermée, la tête baissée, en pensant simplement, au prochain dîner.  

Une dinde peut-être ?

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Surtout, être moche

Aujourd’hui, je vais à l’hôpital pour la Grosse Maladie. Je suis KO KO KO, infectée depuis plus de 2 mois par une E. Coli qui dégage pas, malgré les antibios qui se suivent sans se ressembler, les plantes à tout va conseillées par le pharmacien, quitte à se transformer en arbre. Y a toujours ce truc en naturopathie d’en prendre des tonnes.

Bref, mon aidant m’emmène, Dieu le loue. Y a pas de taxis conventionnés, les médecins n’en prescrivent pas parce que l’Assurance Maladie (sur)veille. Mon aidant est encore au chômage, il trouve pas de taf mais en même temps il m’aide tellement parce que j’ai tellement besoin d’aide que ça nous arrange bien. En France l’Allocation de Retour à l’Emploi ça finance autant les fins de thèse de Doctorat que les aidants à plein temps (à la base c’est à la MDPH de faire ça, mais bon…..la France et la paperasse…au moins le Chômage, ça tombe efficace. On prie pour que la maladie se calme quand y aura plus le Chômage. On vit au jour le jour parce que peut-être bientôt on sera mort anyways. Un jour on reparlera de tout ça).

Mais bref, aujourd’hui donc je vais au Gros Hôpital. Du coup, une fois n’est pas coutume, faut s’habiller, si j’y vais en pyjama as usual as casual, on risque de croire que je me suis évadée de quelque part. 

Cet été, tout l’été, j’ai porté la même robe rose. Je ne travaille pas, j’ai plein d’amis mais je les vois pas souvent, je sors peu, du coup la robe rose, elle est rentabilisée, tout l’été. 

Donc pour l’hôpital, robe rose ? Oh diantre non ! La robe rose, un signe de beauté, de bonheur, de santé, d’insouciance, de plaisir ! Un malade n’est pas vraiment malade s’il est en rose. C’est tout à fait incompatible. Ainsi mon amie Louise m’avait-elle appris que dans ses cours de médecine on lui avait appris à reconnaître un patient qui est malade : il pue, il a les ongles sales, il est décoiffé, ses vêtements sont pourris. Ah oui lui, il est très malade, il a besoin de soins et d’attention. 

Je range donc ma robe rose dans le placard pour la première fois de l’été. Je coupe mes ongles à l’envers, je les gratte dans la terre. Je m’en mets un peu sur le visage, pour la forme. Ça colle un peu avec la crème de jour, c’est parfait. Je sors ma tenue noir de deuil, j’arrive plus à la fermer tellement j’ai grossi mais braguette ouverte c’est encore mieux. Ainsi, tout le monde verra que je suis bien malade, que je mérite mes grosses morphines et mes arrêts maladie, et ainsi on s’attèlera à essayer de guérir mes infections qui me mettent visiblement pour de vrai très à plat. 

PS : not all Doctors, ouf !

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Au Revoir, Dame Delphine

Aujourd’hui, je suis anesthésiée par la chaleur, anesthésiée par la douleur. La première fois que j’ai cherché du réconfort du côté des blogs de patients, après avoir découvert les célèbres alors voila et Jaddo, je suis tombée sur patiente impatiente. Je me suis dit mince, le jeu de mots a déjà été pris. Et puis en lisant, j’ai compris que Delphine méritait bien plus que moi la noble qualification d’impatiente. 

J’ai continué mon petit chemin, j’ai fait mon blog à moi. On a fini par entrer en contact, « entre blogueuses ». J’me suis sentie grave stylée, de lui parler a elle, Delphine. Elle avait une théorie sur l’épuisement médical du patient / le burn-out médical / le trop plein de maladie, on l’appelle comme on veut, comme on le ressent. Elle m’avait dit : « tant qu’on a la force d’écrire, c’est que ça va ». Sur le coup j’étais pas hyper d’accord, maintenant, je comprends. 

Je cherche désespérément Delphine sur son blog, mais non.

Je m’imagine souvent comment ce sera quand untel ou unetelle va partir. À l’époque je m’étais dit, Delphine, c’est une immortelle. Ces gens qui un jour partent, mais toujours dans nos têtes restent. Des mots des revendications, si justes, si pertinents, si avant-gardistes.

J’actualise son blog en vain. Je voudrais l’entendre parler encore, dire encore tout haut ce qu’on pense tous tout bas, nous tous malades, mais qu’on n’arrive pas à formuler, comme elle, le faisait. 

Hier soir, je n’ai pensé qu’à elle. J’ai souri même. Elle détestait les encouragements par cette phrase maladroite : « allez, vous en avez vu d’autres ! ». Je me suis imaginée lui tenir la main, et lui chuchoter « allez, t’en as vu d’autres ». Juste pour rire, un peu. 

Ce samedi, cette nouvelle tombe comme une chape de plomb. Ce paradoxe de vie et de mort allegorié par la luminosité intense de ce blanc de chaud, alors qu’à l’intérieur de ceux qu’elle touchait, une pénombre glaciale de douleur. 

Merci, Delphine. 

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Enlevons nos masques ! J’ai eu le covid.

J’ai eu le covid. Quel titre con n’est-ce pas ? Qui n’a pas eu le covid ? Si si, il y en a qui ne l’ont pas eu. Enfin ils l’ont surement eu sans le savoir. Et puis c’est bon, avec le vaccin, le covid c’est devenu une grippette comme n’importe quelle autre maladie passagère.

J’ai mis du temps avant d’écrire ce billet.

Le premier test positif, c’était le 7 janvier. Je me souviens avoir regardé le chromatogramme monter avec le même stress que celui des tests de grossesse (ma maladie contre-indique très fortement la grossesse, alors contrairement à d’autres, j’espère toujours ne voir qu’un trait même si avant la maladie j’ai longtemps voulu y voir deux traits). Bref. 2 traits, super vite. Test covid, pas test de grossesse. Bon sang j’ai le covid. Je n’ai pas fait les fêtes de fin d’année, je n’aime pas ça de toute façon. Je n’ai vu aucun ami récemment parce que la maladie chronique était bruyante. Alors oui, je suis bien allée chez le généraliste, à la pharmacie, mon pain quotidien quoi. Mais masquée FFP2. Comme toujours depuis le début de toute cette mascarade. Depuis même l’époque des masques tissu, y avait cette efficacité asiatique à livrer des FFP2 (des KN95, c’est équivalent). 

Je n’y ai pas cru à ce test positif. J’ai fait un deuxième test d’une autre marque. J’avais déjà des autotests à la maison depuis l’été 2021. J’avais trouvé ça génial de pouvoir s’en procurer. Quelle chance de vivre dans un pays riche. Deuxième test positif. Je n’y ai pas cru. J’ai fait un troisième test. Troisième test positif. Bon. Il a fallu se rendre à l’évidence. Malgré toutes mes précautions, malgré toute mon envie de ne pas attraper ce foutu petit virus pourri, c’était mon tour. En bonne petite Terrienne, j’allais appartenir à cette grande famille des covidés. J’ai senti à la fois un gros choc, d’incompréhension, un grand stress, sur comment allait évoluer la maladie (parfois ça se passe mal n’est-ce pas, pour ceux qui ne le savent pas encore, je vous invite à aller regarder les chiffres, par exemple sur CovidTracker. On a encore 200 morts par jour. Un avion entier comme le disent certains si justement. Mais on s’en fout un peu. D’ailleurs je l’écris entre parenthèses. On « vit avec le virus » n’est-ce pas, c’est comme ça qu’il faut dire ? sinon on est hypochondriaque d’après notamment les journalistes de Marianne mais pas qu’eux, voilà c’est ça), et enfin, j’ai été envahie par une grande curiosité. J’allais enfin communier avec ce patient zéro dont on n’entend plus beaucoup parler, cet humain-là qui un jour s’est tapé la maladie pour la première fois, et qui sans le savoir a bouleversé la face du monde pour…tellement. 

Vous vous souvenez comme on avait peur ? Au début ? Va y avoir une deuxième crise, elle sera économique. Va y avoir une deuxième vague, elle sera psychiatrique. Des gens qui se prenaient pour Dieu ont senti le sable glisser de leurs poings pourtant bien fermés, ont vu leurs convictions les plus profondément ancrées être balayées par cette bise de virus. Y a même des dictateurs qui ont cherché à se venger en faisant la guerre. Ah la guerre, ça on maîtrise ! Et puis quoi de mieux que la guerre pour oublier le virus ? Mourir d’une bonne balle, c’est tellement plus digne que de mourrir dans de longues souffrances en faisant souffrir d’autres humains à bout pour s’occuper de vous (aka, les soignants). 

Mais je m’égare. Être atteinte de ce covid m’a fait trop réfléchir. C’est une grippette enfin. « Vous avez eu les 3 doses ? » avait demandé le Docteur. « Alors c’est bon ! Dans une semaine c’est fini et puis vous verrez vous serez rassurée de vous apercevoir que vous n’êtes pas morte. Et sinon, vous vous isolez bien ? Ah non ? Vous avez un aidant qui vit chez vous ? Ah. Mais il est en bonne santé ? Bon, ce sera une formalité pour lui aussi. Et puis ça lui donnera un pass vaccinal à durée illimitée, c’est super ! » Quelle chance de vivre dans un pays riche.

J’ai guéri du covid. Effectivement pour moi, par chance, ça a été une « formalité », même si j’ai bien morflé. En revanche, la semaine qui a suivi ma guérison, il a fallu changer d’immunosuppresseur pour ma grosse maladie. C’était attendu depuis plusieurs années. Dans plein de grosses maladies chroniques, parfois une molécule d’immunosuppresseur ne fonctionne plus, il faut en essayer une autre. Il y a aussi tous les gens greffés sous immunosuppresseurs. Bref, plein de gens. Des gens bien. Qu’on aime et tout. C’est même pas forcément visible qu’ils prennent des immunosuppresseurs. Bref, mon nouvel immunosuppresseur m’a fait attraper un autre virus, on ne sait pas lequel, des virus y en a plein. Pourtant, non si rassurée d’avoir eu la fameuse grippette, j’avais continué de garder mon masque FFP2 partout. Je suis tombée au 36ème dessous avec cet autre virus. Eh oui, je n’avais pas eu de vaccin pour cet autre virus. J’ai été faible comme jamais. Encore maintenant. Alors qu’on est déjà en mars. J’ai de la chance, j’ai un aidant, me direz-vous ? Sauf que cet aidant…cet aidant qui avait failli se voir refuser sa première dose de vaccin covid car il était « en bonne santé », puis qui l’avait finalement eue pour me protéger parce qu’il vivait avec une immunodéprimée, cet aidant triple vacciné, semble entamer un covid long. Tous les jours depuis un peu avant le 7 janvier, il souffre. Il a maintenant comme une maladie chronique. On lui a dit d’attendre patiemment 3 mois avant d’envisager un vrai covid long. 3 mois minimum pour une grippette. Ça fait cher quand même. Même quand on vit dans un pays riche.

Mais je m’égare encore, revenons-en à nos moutons ; ce virus me fait trop réfléchir. Au début de la pandémie, je me souviens de cet échange optimiste avec mon amie taïwanaise. Les taïwanais, bien que souvent titillés par des gens qui aiment la guerre parce que la guerre c’est plus simple que le covid, les taïwanais sont des gens agréablement optimistes. Ils ont connu un premier Sars-Cov, en 2002. Donc en 2020, elle m’avait dit : « Tu verras, tout le monde va s’adapter, les gens vont porter des masques en intérieur, et puis on va améliorer les systèmes de ventilation, ce sera simple quand tout le monde aura compris que ce n’est pas si compliqué à combattre. Et puis, les masques vont rentrer dans les moeurs, ce sera très bien pour l’hygiène en général, et pour les autres maladies. Et puis ça protègera les plus fragiles de la société, les aînés, les immunodéprimés. A Taïwan tu rentres à La Poste, tout le monde est masqué, depuis 2002. C’est devenu normal. » 

Comme j’avais été apaisée ce jour-là de 2020. Désormais tout serait plus sûr pour les immunodéprimés. Finalement, il y aurait eu du bon dans ce Sars-Cov épisode 2, et faudrait presque remercier le patient zéro à la fin. 

28 février 2022. France.
On n’est plus obligé de porter un masque dans les lieux intérieurs si on est vacciné.
On n’est plus obligé de porter un masque dans les lieux intérieurs si on est vacciné.
On n’est plus obligé de porter un masque dans les lieux intérieurs si on est vacciné.

Ce covid me fait trop réfléchir. Qu’est-ce qui a bugué ? Plein de vaccinés on eu le covid, l’ont transmis à d’autres, ont fait des covid long. On le sait, scientifiquement. À Taïwan, ils ont gardé tous leurs masques depuis 2002 parce qu’ils ont compris que c’était mieux. En France, y a toujours un avion de morts par jour. Y a aussi les gens immunodéprimés qu’on aime et qui sont fragilisés par leur grosse maladie initiale, ou bien qui ne répondent pas au vaccin, et qui donc occupent environ 1/3 des réanimations.

Ils occupent 1/3 des réanimations et y a encore de la place à l’hôpital ? C’est bon alors ? Mais quelle chance on a de vivre dans un pays riche. Ah, on me dit dans l’oreillette qu’on ne sort pas toujours vivant de la réanimation ? Ah bon ? Mais les médecins ne savent pas faire leur travail ? Ah, on me dit dans l’oreillette qu’on sort toujours épuisé de réanimation ? Ah bon ? Mais y a des arrêts maladie pour ça. On a de la chance on vit dans un pays riche, il faut en profiter ! 

Mais alors à Taïwan ils gardent vraiment encore leur masque en intérieur ? Depuis 2002 ? Ils sont bizarres non ? Ils sont pauvres ? Ils ne savent pas vivre. Nous, nous avons le sang chaud et les bourses pleines. On a besoin de voir des bouches qui s’ouvrent en toute circonstance. Au mépris des éventuelles maladies. On ne va quand même pas vivre dans la peur pour toujours, non ? Liberté ! C’est dans notre devise ! Je connais plus la suite. L’avion des morts tous les jours ? Ils seraient morts un jour de toute façon ! De leur maladie ou d’un autre virus ou parce qu’ils sont trop vieux. Au moins ils ne souffriront pas de leur comorbidité de base ni à l’Ehpad parce qu’apparemment il y a des maltraitances dans les Ehpad. Ça leur rend service, ils ne s’en rendent pas compte.

Retirons enfin ce masque, agissons comme des moutons quand enfin le gouvernement nous l’autorise ! Liberté, courage, et guerre ! La pandémie est enfin finie.

 

PS : je repense souvent tristement à ce grand discours du Grand Directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, dont quelques mots étaient : « Together, we now have a once in a generation opportunity to prove to each other that we can be greater than the sum of our parts. » En français « Ensemble ; nous avons aujourd’hui l’opportunité unique de nous prouver à tous que nous pouvons être plus grands ensemble, que chacun de nous séparément. » Le discours en entier ici.

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Non, l’hôpital n’a pas tenu !

20 novembre 2019. Hospitalisation prévue de 2 jours, truc pas très important. J’arrive au 5ème étage, avec mon gros sac pour 2 jours, plein de tous mes médicaments, et ma grosse fatigue, d’avoir traversé toute la ville pour venir. Je suis là pile à l’heure. Je suis passée aux admissions. Tout est en règle. Je me présente au poste de soins :

« Bonjour, je suis Madame Manon, je viens pour mon hospitalisation.

-Madame Manon ? ça s’écrit comment ? en 1 mot ou en 2 mots ? avec 2 N ? Vous êtes sure que vous ne vous êtes pas trompée de date ? Faites-voir votre convocation ! Ah ben voilà, vous vous êtes trompée de date ! Ah non ? le 20 novembre c’est aujourd’hui ? Ah oui en effet c’est aujourd’hui. Ben c’est quoi le problème alors ? Vous n’avez pas confirmé votre venue par email ! Il faut confirmer sa venue par email Madame c’est indispensable ! Ah bon, vous aviez bien confirmé par email ? vous l’avez là, sur votre téléphone ? Faites-voir ! Quelle date votre mail ? Ah oui ? Ah oui en effet ! Ah ben ça y est, je sais ! J’étais en vacances quand vous avez envoyé le mail ! Voilà, j’étais en vacances ! Et quand je suis en vacances personne ne me remplace et ensuite quand je reviens il y a tellement de mails que je ne peux pas tout traiter ! Voilà ! Désolée Madame mais vous pouvez rentrer chez vous, vous n’êtes pas au planning des hospitalisations, toutes nos chambres sont pleines on ne peut rien faire pour vous. On vous recontactera. Ben oui, désolée mais j’étais en vacances !

Et moi de rentrer bredouille, la cyphose lasse, bien dépitée par cet Hôpital public si jalousé dans le monde entier, où pourtant tant de problèmes règnent. « Tu aurais dû faire un scandale » me dit un non-habitué. À quoi bon ? J’ai l’habitude, c’est ça, l’Hôpital public.

10 décembre 2019. Je revois le médecin de ville qui avait demandé l’hospitalisation. Il n’est pas étonné par mon récit. Il me dit qu’on attend donc la reprogrammation, pour instaurer le traitement le plus adapté.

Mais je n’ai pas que ce problème. Une grande maladie déjà établie me ronge depuis longtemps. Pour ça que je connais si bien mon Hôpital.

14 mars 2020. Annulation générale de toutes les consultations pour cause d’épidémie qui s’annonce grave.
23 mars 2020. Ordonnances envoyées par email dans la hâte pour les patients chroniques, comme moi.

Il y a une pandémie mondiale, on ne connaît rien sur la transmission, on ne sait pas qui est vulnérable, alors on sort tout ce qu’on peut de l’hôpital, on réquisitionne tous les personnels qu’on trouve pour traiter les malades contaminés. Des plus jeunes aux plus âgés, des moins diplômés aux grands Chefs, on enrobe tout le monde dans des sacs poubelle et on fonce soigner tête baissée ; il faut affronter la maladie c’est le métier.

11 mai 2020. Déconfinement. La première vague est passée. Tout le beau monde prépare son livre sur la pandémie. Pour la rentrée littéraire de septembre. Et le plus français des français de se targuer : « l’hôpital a tenu ».

Cette phrase m’obsède depuis la première fois que je l’ai entendue.

Alors oui, pour quelqu’un qui ne met jamais les pieds à l’hôpital, qui se contente d’une hospitalisation de 2 jours, truc pas très important, malencontreusement annulée finalement non réalisée, qui a entendu que « les murs avaient été poussés », mais qui n’a pas vu sur BFMTV des images d’effondrements de bâtiments telles les Tours du 11 septembre, on doit probablement pouvoir se dire en toute sincérité, et même avec une once de fierté : « ah là là oui, nous, la France, l’Hôpital a tenu. »

Mais c’est quoi, un Hôpital qui tient ? Des murs qui ne s’effondrent pas ? Des gens debout sur leurs deux jambes ? De l’oxygène en veux-tu en voilà ?

Sur BFMTV ,on a vu qu’en Amérique du Sud il y a des gens qui sont morts couchés par terre aux urgences. Et puis après même, on a vu des gens qui sont morts par terre avant d’avoir pu rentrer dans l’hôpital. Et puis en Inde, on a vu des gens qui ont brûlé des dépouilles d’autres gens dans la plus précipitée des hâtes, on dit qu’il y a même une dame qui a failli être brûlée alors que finalement elle n’était pas morte.

« Ça, ce sont des hôpitaux qui n’ont pas tenu », se dit-on en France. On méprise discrètement ces pays mi-sauvages/mi-curieux, tels des Denis Diderot se préparant à la rédaction du Supplément au Voyage de Bougainville, pour la rentrée littéraire de septembre 2021.

Premier semestre 2021. La plupart des consultations ont repris à l’hôpital. Mais pas toutes. On a annulé et on continue d’annuler ce qu’on dit maintenant « non urgent ». On a redéfini l’urgence. Le cancer et les greffes, inférieures au virus. On a redéfini la valeur des êtres. On reclasse. On reconsidère. On modifie les priorités. On fait comme on peut. Un de plus un de moins. De toute façon à la fin c’est pareil.

En 2021, je ne reconnais plus le monde d’avant à l’hôpital. Les professionnels de santé hospitaliers sont encore plus fatigués « qu’avant ». Même les plus ascétiques d’entre eux ne répondent plus aux mails, se montrent tendus, s’endorment en consultation, ont besoin de raconter, sont en colère.

Je suis confuse d’être malade et d’avoir toujours besoin de ces êtres humains. Je voudrais les laisser se reposer, enfin.

6 juillet 2021. Me voilà de retour au 5ème étage, pour mon hospitalisation prévue de 2 jours, celle qui n’avait pas pu se faire en 2019 parce que la secrétaire était en vacances. Presque 2 ans après donc. Une petite boule au ventre, parce que j’espère que cette fois, il n’y a pas eu de problème de vacance de secrétaire.

Dans l’ascenseur, j’avais regardé le nom des autres services. J’aime bien faire ça. Pour me rendre compte de toute l’offre de soin de notre bel Hôpital public français.

Au premier étage, de la réanimation covid. Mince. Au deuxième étage, de la réanimation covid. Mince. Au troisième étage, de la pneumologie covid. Mince. Au quatrième étage, de la médecine covid. Mince.

Depuis ma fenêtre du 5ème, je vois les ambulances arriver les unes après les autres. Un train train quotidien normal. Si je m’étais contentée de venir à l’hôpital le 20 novembre 2019, et aujourd’hui, je me pavanerais probablement moi aussi, glorifiant la performance de notre Hôpital capable d’engloutir des vagues les unes après les autres, tout en plaçant chaque 2 ans les patients non urgents. Mais j’ai vu. Mais je sais.

Et la quatrième vague est là.

Pour moi, l’Hôpital n’a pas tenu.

Et il est urgent de le (re)construire.

PS : ce texte enrichi du premier billet du 9 juin 2021 « Peut-on vraiment dire que l’hôpital a tenu » a été intégré dans le journal d’épidémie du Docteur Christian Lehmann, paru dans Libération, le jeudi 5 août 2021.

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Ma promesse au Grand Monsieur qu’était Philippe Gourdin

« Samedi dernier, Philippe nous a quitté. »

Je lis et je relis cette phrase postée sur la page Facebook « Philippe Gourdin – Auteur » , mais je ne parviens à y croire. Philippe fait (faisait faut-il dire maintenant) partie de ces hommes et de ces femmes, qui même s’ils meurent, restent vivants dans nos esprits, tant ils étaient vivants quand ils étaient vivants.

Depuis plusieurs années, la maladie me cloue maintenant dans mon appartement. Parfois je sors, parfois non. Trop de douleurs, trop de symptômes, besoin de toilettes, pas assez de force. Alors je reste, en « pyjama ». Le soir parfois, je change de « pyjama », pour faire croire à mon cerveau que je me suis habillée dans la journée. En fait, la frontière entre mes « pyjamas » et mes vêtements de journée n’existe plus. Tout est fait de largesse et de confort, pour palier l’inconfort de la trop large maladie.

A l’époque où je n’étais pas malade, je critiquais allègrement ces pyjamards, types flemmards qui ne prenaient même pas le temps de se brosser les dents, qui osaient parler d’un rendez-vous à 14h du matin. Je les abhorrais, je les méprisais, nous n’étions pas du même monde. Dans mon corps et mon esprit régnaient la discipline du show off et de la performance, j’étais maquillée jusqu’au bout des ongles dès 8h du matin, ne fut-se que prête à ouvrir au facteur pour signer un recommandé. Ne fut-se que pour passer la journée à étudier à la maison, et me démaquiller le soir, sans n’avoir finalement croisé personne.

Je vais vous faire une confidence : cette époque me manque. Non pas l’époque où je me croyais supérieure à des congénères, mais l’époque du maquillage, l’époque du rituel de bonne santé.

J’ai lu pas mal de choses de Philippe, et d’ailleurs je vous invite à faire de même. Il fait partie de ces gens qui auraient pu devenir des Marc Levy, mais percer dans l’écriture est presqu’aussi difficile que de se maquiller le matin quand on est devenu trop malade. La phrase qui m’a le plus marquée de Philippe, c’est qu’il disait : malgré la maladie, tous les matins, je m’habille. La première fois que je l’ai lue, cela a été pour moi une révélation. Il était donc bien possible de s’habiller le matin, quoi qu’il en coûte, comme on dit aujourd’hui. Néanmoins, après cette lecture à mes yeux divine, je ne me suis pas habillée tous les jours. Parfois un peu, parfois jamais.

Aujourd’hui, j’ai appris ton décès hier, Philippe. Aujourd’hui, je suis douleur, je suis symptômes, j’ai besoin de toilettes, je n’ai pas assez de force. Mais aujourd’hui je suis habillée, maquillée. J’ai même mis des boucles d’oreilles. Et je me promets de poursuivre cet effort désormais chaque jour qu’il me restera, pour honorer ta mémoire.

Repose en paix.

Les livres de Philippe, c’est aussi ici : https://www.philippegourdin.net/

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Peut-on vraiment dire que l’hôpital a tenu ?

14 mars 2020. Annulation générale de toutes les consultations
23 mars 2020. Ordonnances envoyées par email dans la hâte pour les patients chroniques

Il y a une pandémie mondiale, on ne connaît rien sur la transmission, on ne sait pas qui est vulnérable, alors on sort tout ce qu’on peut de l’hôpital, on réquisitionne tous les personnels qu’on trouve pour traiter les malades contaminés. Des plus jeunes aux plus âgés, des moins diplômés aux grands Chefs, on enrobe tout le monde dans des sacs poubelle et on fonce soigner tête baissée ; il faut affronter la maladie c’est le métier.

11 mai 2020. Déconfinement. La première vague est passée. Tout le beau monde prépare son livre sur la pandémie. Pour la rentrée littéraire de septembre. Et le plus français des français de se targuer : « l’hôpital a tenu ».

Cette phrase m’obsède depuis la première fois que je l’ai entendue.

Alors oui, pour quelqu’un qui ne met jamais les pieds à l’hôpital, qui a entendu que « les murs avaient été poussés », mais qui n’a pas vu sur BFMTV des images d’effondrements de bâtiments telles les Tours du 11 septembre, on doit probablement pouvoir se dire en toute sincérité, et même avec une once de fierté : « ah là là oui, nous, la France, l’Hôpital a tenu. »

Mais c’est quoi un Hôpital qui tient ? des murs qui ne s’effondrent pas ? des gens debout sur leurs deux jambes ? de l’oxygène en veux-tu en voilà ?

Sur BFMTV on a vu qu’en Amérique du Sud il y avait des gens qui mourraient couchés par terre aux urgences. Et puis après même, on a vu des gens qui mourraient par terre avant d’avoir pu rentrer dans l’hôpital. Et puis en Inde, on a vu des gens brûler des dépouilles d’autres gens dans la plus précipitée des hâtes, on dit qu’il y a même une dame qui a failli être brûlée alors que finalement elle n’était pas morte.

« Ça, ce sont des hôpitaux qui n’ont pas tenu », se dit-on en France. On méprise discrètement ces pays mi-sauvages/mi-curieux, tels des Denis Diderot se préparant à la rédaction du Supplément au Voyage de Bougainville pour la rentrée littéraire de septembre 2021.

Premier semestre 2021. La plupart des consultations ont repris à l’hôpital. Mais pas toutes. On a annulé et on continue d’annuler ce qu’on dit maintenant « non urgent ». On a redéfini l’urgence. Le cancer inférieur au virus. On a redéfini la valeur des êtres. On reclasse. On reconsidère. On modifie ses priorités. On fait comme on peut. Un de plus un de moins. De toute façon à la fin c’est pareil.

En 2021, je ne reconnais plus le monde d’avant à l’hôpital. Les professionnels de santé hospitaliers sont encore plus fatigués « qu’avant ». Même les plus ascétiques d’entre eux ne répondent plus aux mails, se montrent tendus, s’endorment, ont besoin de raconter, sont en colère.

Je suis confuse d’être malade et d’avoir toujours besoin de ces humains. Je voudrais les laisser se reposer, enfin.

Pour moi, l’hôpital n’a pas tenu.

Et il est urgent de le (re)construire.

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À 8h, ma morphine. À 20h, ma morphine. À 8h, ma…

Bon. Vous avez peut-être vu/lu cet article récent du Monde intitulé : « A 8 heures, ma morphine. A 11 heures, ma morphine. A 14 heures, ma morphine… » : dans l’enfer de l’addiction aux opioïdes. Un article réservé aux abonnés ; et c’est tant mieux. Le problème, c’est que ce titre putaclic a fait le taf, il a été grave bien été retweeté, tout le monde de s’offusquer que ça y est « tout ce qui se passe aux Etats-Unis finit par arriver en France », que oui oui les français sont les plus gros consommateurs de somnifères donc forcément il fallait qu’ils se mettent à la morphine, que ma tante Michelle pour une simple douleur d’oreille on lui a prescrit du paracétamol-codéiné on a failli faire d’elle une grande droguée c’est absolument scandaleux les médecins prescripteurs sont des inconscients et les patients consommateurs sont des imbéciles. Voilà, si vous n’êtes pas abonné au Monde (comme moi), je vous ai probablement résumé ce que vous avez peut-être raté.

J’ai envie de vous raconter « ma version » :

Il y a 12 ans, la maladie s’est déclarée. J’ai très vite eu très mal. Je n’y connaissais rien à rien, je n’avais jamais touché un paracétamol de ma vie, j’avais toujours joué à la grosse dure qui n’est jamais malade, qui méprisait les Docteurs et les malades ces espèces fragiles, et qui n’aimait guère les piqures. Mais quand la maladie s’est déclarée, bien sûr tout ça a changé. Le Docteur qui voyait que je me brulais la peau avec du chaud tellement j’avais mal, m’a d’abord proposé du paracétamol-codéiné, ou du tramadol. J’ai pu continuer mes études, me brûler un peu moins fort.

Et puis les douleurs sont devenues beaucoup plus violentes, un joli jour de mai dont je me souviendrai probablement toute ma vie. On a cru à un problème aigu, on est allé aux urgences, on a fait plein d’examens. Et c’est terrible, le temps continuait de passer, et la douleur restait. Quand on me demandait depuis combien de temps « j’avais mal » et que je répondais « 2 mois », on était soulagé. Ce n’était pas grave, cette douleur longue indiquait qu’elle n’était pas le signe de quelque chose qui me ferait mourir. Ce type de réactions de Docteurs commençait à m’inquiéter sérieusement. Je n’envisageais pas du tout de continuer de vivre avec un tel niveau de douleur. Ce n’était pas possible tout simplement, ne pas pouvoir être debout, ne pas pouvoir être assis non plus, ne presque plus dormir, etc. Clairement, j’envisageais de me donner la mort. C’était pour moi une décision raisonnée et raisonnable, dommage certes parce que j’aimais la vie, mais quand ce n’est plus possible de vivre alors il faut mourrir, il me semble. Heureusement, j’ai quand même cherché sur internet (ce fameux internet qu’on critique tant), et j’ai découvert qu’il existait des « centre anti-douleur ». J’ai trouvé ça très curieux, mais je me suis dit que c’était peut-être une alternative à la mort. Il s’est passé 10 mois entre le jour du début de ma douleur atroce, et mon rendez-vous, et probablement 6 mois entre ma prise de rendez-vous, et mon rendez-vous. J’avais appelé tous les centres de ma zone géographique élargie, et j’avais pris le premier qui répondait au téléphone et qui me donnait un rendez-vous. Le centre anti-douleur m’a fait revivre. J’ai commencé des médicaments qui n’étaient pas des morphiniques de palier 3, parce que le médecin procédait avec prudence. J’ai donc gardé mes codéine ou tramadol de palier 2, potentialisés par d’autres molécules. On prescrit souvent 2 molécules pour la douleur, justement pour entre autres amoindrir le risque d’addiction. Pendant 3 ans, j’ai bien vécu.

Et puis la maladie s’est nettement aggravée. Il a fallu changer beaucoup de traitements, certains devenaient incompatibles entre eux, et j’ai commencé la méthadone, pour soigner ma douleur, parce que c’est un morphinique de palier 3. Plein de gens m’ont regardé alors avec des gros yeux : la méthadone, c’est une molécule qui a une Autorisation de Mise sur le Marché pour soigner les addictions à des substances toxiques. Et puis un jour, il a fallu changer pour de la sophidone, un autre morphinique. Le pharmacien, celui-là même qui m’avait dans un premier temps refusé la délivrance de ma méthadone, (c’est interdit) ne me voyait désormais plus comme une junkie mais comme la malheureuse éponyme de l’héroïne de la Comtesse de Ségur. Eh oui, parce que la sophidone, elle, a une Autorisation de Mise sur le Marché pour des douleurs liées au cancer. Et puis ensuite, j’ai pris de l’oxycodone. La même oxycodone à laquelle était devenu dépendant le Docteur Maury, de Un si grand soleil.

Je prends en réalité mon oxycodone à 11 heures, parce que je n’arrive pas à me lever à 8h comme la dame du Monde, parce les nuits sont quand même difficiles, puis je prends mon oxycodone à 23 heures ; 12h après, parce qu’un comprimé dure 12 heures. Je prends toujours la même dose. Jamais je n’ai eu l’envie ni le besoin d’en prendre davantage. Nous sommes NOMBREUX à avoir été littéralement SAUVÉS par la morphine (ou les dérivés morphiniques, c’est la même chose). Les préjugés, et les clichés, entretenus et/ou développés comme dans l’article du Monde stigmatisent les gens qui souffrent et qui ont BESOIN de morphine (ou de dérivés morphiniques, c’est la même chose). Sur le principe, on s’en fout complètement de vos articles putaclic et de votre onanisme intellectuel combiné à un appât du gain dégoûtant. On survit à la douleur avec un grand D, alors ces bassesses…en revanche, pensons aux prescripteurs, qui désormais vont peut-être hésiter, avant de sauver une vie. « Ah j’ai lu dans Le Monde que la dame (forcément en plus, une dame, pas un monsieur) allait devenir dépendante, alors je la soigne un peu moins bien c’est vrai, mais ce sera mieux pour elle ». On ne peut que les comprendre.

Merci de cesser de salir la réputation de médicaments qui assistent des personnes parfois en danger, des médicaments qui sauvent.

Il est 19h, je prendrai ma morphine à 23h, comme tous les soirs. Jamais avant, jamais plus que la dose prescrite.

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Pourquoi signer ENCORE la pétition pour un nouveau calcul de l’AAH

Il y a quelques mois, c’était pour son examen au Sénat…maintenant c’est pour son examen à l’Assemblée Nationale…Voilà l’histoire :

C’était une histoire banale d’amoureux. Ma copine Justine, IMC, en fauteuil depuis toujours, me parle de ce garçon, qui d’abord était censé juste être payé pour l’aider dans sa vie de tous les jours. Ma copine Justine est étudiante, et il arrive souvent que des étudiants (valides) fassent ces petits boulots d’aide à la personne pour participer à financer leurs études. Justine payait sa ribambelle d’étudiants à son service grâce aux aides de la MHPD, de la CDAPH, de…je sais plus trop. Elle gérait comme une véritable petite entreprise cet argent destiné à ses employés. Et pour ses frais de vie à elle, y avait une allocation adulte handicapé, maigre mais tant pis.

C’était un beau brun, Julien. Regard ténébreux, classique mais efficace, je le croisais à chaque fois qu’on se voyait avec Justine. Il l’accompagnait pour qu’elle passe du bon temps avec moi, puis il venait la chercher quand on se quittait. C’est vrai qu’il était…lumineux. Le genre de personne qui te marque. Moi aussi j’avais l’impression d’être un peu amoureuse de lui. Moi aussi, parce que Justine l’était. Et c’était réciproque. Son ange gardien lui avait fait une déclaration à demi-mot, perdu entre la réserve imposée par son devoir professionnel, déboussolé par les sentiments amoureux qui font tourner la tête de n’importe quel humain.

Le temps a passé. C’était toujours la même distance entre Justine et Julien. Et moi je me gardais bien de me mêler de leurs choix de vie respectifs. Julien a fini par finir la fac. Bac +5, avec la diplomite que le marché adore maintenant, il a vite trouvé un job, 1700 nets mensuels. Maigre surtout en région parisienne, mais tant pis. C’est là que vivait Justine. Il n’était plus à son service, mais ne voulait pas s’éloigner d’elle.

Le temps passait encore. Je voyais une Justine triste, qui s’accrochait aux études, mais comme cela semblait difficile. Trouver un logement adapté où l’on pouvait aller à la fac en bus ou bien par les seules 2-3 lignes de métro accessibles aux fauteuils. Ne pas aller en cours les jours de pluie. Ne pas aller en cours quand l’ascenseur de l’amphi ne fonctionne pas. Ne pas trouver de stage obligatoire. Bref, dans ma tête Justine roulait avec son nouveau fauteuil tactile qu’elle avait payé en partie de sa poche, dans un désert aride où personne ne la voyait, et où elle ne voyait pas une oasis à l’horizon.

Un jour, je décide de lui reparler de Julien, pour voir. Il avait pris un appartement accessible exprès pour elle. Il lui avait offert un pendentif, puis une bague. « Ce n’est pas une demande en mariage » avait-il précisé délicatement. Julien aussi était malheureux, alors. Il voulait vivre avec ma copine Justine. Et c’était réciproque. Naïve, moi, je déroule alors à Justine un discours sur la confiance en soi, la difficulté pour tout le monde de sauter le pas, les avantages de la vie à deux, et blablabla. Je vois l’oasis pour Justine, elle va être heureuse enfin.

« – Je vais perdre mon AAH.
– Tu vas perdre quoi ?!
– Si je vis en couple avec Julien, je n’aurai plus droit à mes 900 euros d’AAH. J’ai trop besoin de cet argent. Il a payé en partie mon nouveau fauteuil, il paiera le suivant… »

Justine m’explique que son droit à l’AAH, son AAH si précieuse, est calculé à partir des revenus du couple quand on vit en couple. Son Julien gagnant 1700 euros nets, elle perdrait son AAH. Elle avait espéré pourtant qu’il trouve un emploi moins bien payé…Mais tant pis  pour elle et tant mieux pour lui, avait-elle dit. « C’est pareil pour nous tous, de toute façon ».

Sidération.

Il y a quelques mois, une pétition pour un débat au Sénat avait recueilli suffisamment de signatures…Aujourd’hui, une pétition est en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale pour envisager de réétudier ce mode de calcul, mais on ne signe pas assez. Ce lundi 17 mai, 22% seulement de l’objectif de signatures a été atteint. Il manque ÉNORMÉMENT de signatures pour que peut-être quelque chose change ; il reste jusqu’au 21 juin 2021 pour que peut-être quelque chose change.

Pour Justine, pour Julien, pour les autres, pour tous en fait, SIGNONS !

 

Pour suivre l’avancée des chiffres : le compte twitter dédié handi_bot ici
À écouter aussi : le billet de Nicole Feronni du 9 décembre 2020

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