Petite femme fragile que je suis. Sexe inférieur, chose malade, bien habituée à la chose. Mon aidant en difficulté de santé en ce moment, ni une ni deux j’use de mon talent de téléphonage aux hôpitaux injoignables, de brossages de poils d’agent d’accueil (parfois géniaux) pour avoir des rdv plus tôt, et bingo j’obtiens un rdv pour le lendemain.
2 jours que je suis au lit, malade++ comme on dit. Mais l’aidant souffre aussi. Alors faut aider, après tout, pourquoi y aurait-il forcément un aidant mâle fort infaillible, et une malade femelle fragile maigrichonne palotte incapable ? Je m’extirpe du lit, j’avale 40 mg de cortancyl de bon matin, histoire de foutre sa claque à l’inflammation pour aider l’aidant si méritant depuis longtemps, et je me traîne avec lui jusqu’à l’hôpital.
« Mon épouse peut-elle venir avec moi en consultation ? » demande-t-il.
On demande toujours, c’est poli.
Gêne du Doctor : « euh oui euh je sais pas euh comme vous voulez euh ».
Bon y a deux chaises en face de son Grand Bureau, ça semblait prévu pour 2. Tout va bien.
L’interrogatoire commence. L’aidant n’a pas l’habitude du Doctor, contrairement à moi (faut bien être malade et expert en quelque chose), il se sent en garde à vue, il bafouille il oublie il bégaye : je l’aide. C’est ça être aidant non ? Pour aider ?
Rarement, lui, vient en consultation avec moi, car je veux épargner sa charge mentale. Mais parfois, si je suis très mal, si un médecin est très gentil depuis longtemps, ou très méchant depuis longtemps, mon aidant vient. Si je suis très mal, il retient ce que j’oublie, parle pour moi. Si c’est un médecin très gentil, on rigole un peu c’est stylé. Si c’est un médecin très méchant, mon aidant grand mâle musclé homme blanc chef de maison me protège du Docteur Patriarche malfaisant malaisant. Bref c’est tout bénéf, un aidant.
Puis rentre le Supérior du Doctor 1. Doctor 1 l’a briefé, il a surement aussi placé que MADAME prenait un peu trop de place dans la sacro-sainte consultation.
On salue tous deux très poliment Doctor Supérior. Il fait peur il reste debout il s’assoit pas, on sent que faut terminer ça rapidos. Il s’excuse du retard il a l’air sympa quand même. Il recommence l’interrogatoire à mon aidant malportant. Sous l’effet du stress, ça bafouille, ça se trompe, ça dit des choses fausses.
Alors je me dis : Mais tiens, je suis là moi, pour aider n’est-ce pas ? On m’a laissé entrer, m’assoir, dire bonjour tout ça. Alors j’ose parler pour aider. Mais sans lever la main comme à l’école. On est entre adultes à l’hôpital normal.
Et Doctor Supérior d’asséner d’emblée : « Taisez-vous Madame, laissez parler Monsieur. »
Et voilà Monsieur encore plus décontenancé, de continuer à bégayer, à hésiter, à se tromper. Mais la dinde de la farce est venue pour agrémenter le paysage, elle doit fermer sa grande gueule. Elle a pris le rendez-vous, elle s’est déplacée, mais de quoi se mêle-t-elle en plus ?
Remerciée de ma présence d’un tel affront, je suis partie la tête basse, sans remercier ces garants d’une société où la femme doit sans faille rester à sa place. C’est-à-dire le cul posé sur la chaise d’à-côté, la gueule bien fermée, la tête baissée, en pensant simplement, au prochain dîner.
Une dinde peut-être ?