Archives mensuelles : mars 2021

Pourquoi j’avais inventé une Ministre de Confinement et du Tri

Quand la pandémie à commencé, vers février 2020, jamais je n’aurais cru que le monde « moderne » dans lequel nous vivons serait confronté une situation de cette envergure. À chaque personne qui m’aurait demandé avant si statistiquement une pandémie était possible, j’aurais mis mes mains à couper que non. J’aurais surement aussi volontiers mis mes pieds à couper. Un peu d’humilité m’aurait permis de rester entière.

J’avais fait des stat pendant les études, et un peu de biologie, tout ce bazar me paraissait impossible. Quand il y a eu la première vague, mon cerveau a beaucoup souffert donc. Je n’arrivais pas à supporter ce qui se passait. Je m’endormais tous les soirs terrorisée et pleine de somnifères et d’anxiolytiques, je me réveillais tous les matins en me demandant si c’était vraiment vrai. Je ne dormais plus que quelques heures par nuit. J’étais comme maniaque. Je remuais ciel et terre (mon réseau en fait, beaucoup plus grand que ce que j’imaginais) pour trouver des masques à donner aux soignants, pour fabriquer et donner du gel. À l’inverse, je vivais bien le confinement, convaincue que nous irions forcément vers une stratégie dite aujourd’hui « zéro covid » qui me semblait la seule issue évidente et raisonnable. Je pensais qu’on serait confinés jusqu’à l’automne 2020, et qu’après, tout redeviendrait comme avant. On aurait vécu un sale truc, mais on l’aurait vaincu proprement.

C’est là que pour expulser partie de la souffrance de mon cerveau, les longues nuits d’insomnie, j’ai inventé le personnage de Ministre du Confinement et du Tri. Tout le monde avait peur de dire « tri » à l’époque ; les journalistes questionnaient, les Directeurs d’établissement disaient que jamais ô grand jamais on ne trierait, les réanimateurs disaient qu’on avait toujours trié de toute façon mais que c’était pas vraiment du tri. Je pensais bien sûr aux patients non covid qu’on annulait (moi incluse) mais je me disais que c’était tellement temporaire que la casse serait peut-être limitée à un truc environ acceptable puisqu’inattendu. Alors j’ai joué avec ce fameux tri, j’ai écrit plusieurs billets de blog« en tant que Ministre ». J’ai inventé une classification de tous les français. Ça me faisait me rendre compte que c’était totalement absurde et que jamais en France ni heureusement ailleurs dans le monde on en arriverait là. Je trouvais le  DG de l’OMS  incroyable (je le trouve toujours) et j’avais confiance en sa gestion. J’étais profondément choquée de tout ça (je remercie bien bas mes neuroleptiques) mais j’étais optimiste (encore merci mes neuroleptiques). Je trouvais que le monde entier, solidaire, affrontait, prenait ses responsabilités, même si certains dirigeants se démarquaient tristement, mais qu’heureusement les gouvernants locaux parvenaient à les contrebalancer.

Et puis il y a eu Monsieur Déconfinement en France. Trop rapide, mal préparé, toujours pas de masques, pas humilité, pas de dialogue avec les pays qui avaient déjà eu à gérer un SRAS (Taïwan par exemple). Il y a eu un remaniement ministériel pour oublier vite tout ça, les changements de la loi Travail (?!), s’occuper vite de reprendre la réforme des retraites et du chômage, plus personne qui ne parlait du covid, la crise était passée on avait eu 30 000 morts c’était dommage mais c’était imprévisible, fallait que chacun écrive son bouquin sur la gestion de la crise qui sortirait à la rentrée de septembre, aller de l’avant c’était ça l’histoire de l’humanité après tout. Il y a eu les fameux égos  « il n’y aura pas de 2ème vague » émanant tant de la bouche de « grands scientifiques » que de ma tantine stylée ou de mes amis bien élevés. J’ai voulu voir personne. J’étais dégoûtée. Des gens bien comme ceux de Stop-Postillons m’ont aidée à tenir. Ça, c’est pour la partie France.

Mais y a eu tout pareil dans plein d’endroits du monde. Avant la maladie, je voyageais beaucoup, je m’étais fait plein d’amis. Je leur ai écrit davantage. C’était dur d’avoir des nouvelles du Brésil, des États-Unis, de l’Inde. Ça me faisait du bien de parler à mon amie Taïwanaise. Elle me rassurait, elle me disait que c’était normal cette période d’« erreurs », qu’une fois qu’on aurait tous bien morflé comme Taïwan à l’époque du SRAS, on finirait par s’adapter. Parce que c’est long de changer des comportements et surtout des certitudes.

Il y a eu la 2ème vague. J’ai ressenti un truc méga bizarre. Je me suis sentie profondément bien, rassurée. Je me suis dit que tous ceux qui n’avaient rien compris, ou qui se prenaient pour Dieu avec leurs prévisions optimistes et assurées (vous vous souvenez, l’époque des « rassuristes » ? ), tous ceux-là on ne les entendrait plus, et enfin on deviendrait humble face à ce satané petit virus qu’on connaît si mal, et on s’adapterait donc beaucoup mieux, et alors on ne ferait presque plus d’erreurs.

Mais l’être humain est coriace. Il y a eu ce plateau qui s’est jamais calmé, dont on s’est contenté, et ensuite,  forcément, une 3ème vague. Cette fois, je ne peux pas dire que je ça m’a fait du bien. Je vois des gens qui avaient bien tenu moralement jusqu’à maintenant, craquer maintenant. J’ai mal pour eux. Je vois tous ces soignants épuisés. J’entends mes amis brésiliens me dire que même ceux qui avaient eu les moyens de prendre leur précautions toute leur vie avec des assurances privés leur permettant d’être soignés dans le privé, savent qu’ils ne pourront pas être soignés. Au Brésil, pire que les brancards entassés dans des couloirs, on voit des photos de patients mourant au sol, les soignants assis par terre.

On entend qu’en France la 3ème vague sera pire que la première. Je repense à Rémi Salomon, qui était venu exceptionnellement sur le plateau de Quotidien dire qu’il ne voulait pas, pendant la 2ème vague, avoir à choisir entre prendre un charge un patient covid ou un accidenté de la route. Je me souviens de combien il avait été si injustement moqué quand il avait suggéré que papi et mamie mangent la bûche de Noël séparément du reste de la famille. Je lis les responsables de crise de l’Assistance Publique écrire désespérés dans le Journal du Dimanche du 28 mars 2021. Le mot « tri », est maintenant prononcé avec grande peine mais en toute normalité. On va devoir trier, c’est comme ça, c’est la pandémie c’est la guerre, c’est le jeu ma pauvre Lucette.

Le jeu que j’avais inventé il y a un an, cette grande classification des français pour ce tri que je ne croyais jamais possible, du moins pas en France, grande naïve que j’étais, est devenue la banale réalité.

Soupir.

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« Vivre avec le virus »

La première fois que j’ai entendu « il va falloir apprendre à vivre avec le virus », c’était avant le premier confinement de mars 2020. Ma généraliste me conseillait (en consultation physique à l’époque, sans masques) de reprendre mon immunosuppresseur pour ma maladie inflammatoire articulaire, malgré mon infection virale pulmonaire du moment. On avait très vite conclu que ce n’était pas le coronavirus parce que je toussais depuis beaucoup trop longtemps (3 mois).« Il y a beaucoup de virus qui respiratoires qui traînent en ce moment », m’avait-elle dit, « vous en avez probablement enchaîné plusieurs ». J’avais très peur de reprendre mon immunosuppresseur parce que quand on l’avait introduit au tout début de mon infection pulmonaire, 3 mois auparavant, j’avais cru mourir des poumons. J’avais donc décidé que pesaient plus lourd dans la balance mes poumons que ma maladie inflammatoire articulaire.

J’avais bien peur aussi du fameux nouveau coronavirus, parce que je trouvais que j’avais déjà enchaîné un paquet de virus respiratoires en 3 mois. Alors j’avais trouvé ma généraliste bien cavalière avec son « apprendre à vivre avec le virus ». Puis, je m’étais dit : « Non mais c’est normal, elle a le recul nécessaire du Docteur ». Je m’étais dit qu’« apprendre à vivre avec le virus », c’était continuer de soigner les autres maladies en fait. C’était aussi s’adapter, oser, prendre des mesures nécessaires même fortes, ne laisser personne de côté. Je l’avais trouvée grave stylée ma MG.

Puis pendant les 4 mois qui ont suivi, il y a eu, le tiers de la planète confiné, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt comme des autruches, les pays où les dirigeants se comportaient plutôt -d’après moi – comme des humains raisonnables. Et, pendant les 4 mois qui ont suivi, la phrase « vivre avec le virus » est ressortie d’autres bouches que celles de ma MG, de plein de bouches, de toutes les bouches en fait.

Les plutôt humains raisonnables qui prenaient des mesures fortes disaient « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va souffrir un peu un temps, et ensuite sans le virus, on sera bien.

Les plutôt autruches qui ne prenaient aucune mesure disaient aussi « c’est ça vivre avec le virus », sous-entendu, on va continuer de vivre normalement, on sera bien.

Et là j’ai commencé à flipper. J’ai imaginé que « vivre avec le virus »  ça pouvait peut-être vouloir dire « il va falloir s’habituer aux morts ». Je me suis dit que c’était impossible. J’étais parano, c’était immoral, c’était cracher au visage de l’éthique, c’était mépriser son prochain, c’était se foutre des vieux, des faibles, de tous, bref, j’étais parano. Le monde c’était pas ça, j’exagérais.

On arrive 1 an après le « vivre avec le virus » de ma MG adorée. On l’entend encore dans plein de bouches.

Les hôpitaux sont saturés. On a déprogrammé plein de gens. Le virus est devenu nosocomial même avec les masques. On n’isole pas les soignants quand ils sont positifs.

J’écris depuis la France. Y a des pays où c’est vraiment mieux, y a des pays où c’est vraiment pire.

Aujourd’hui, en France, y a, je sais même plus combien, allez 300 morts par jour. Aujourd’hui la « bonne situation », ce serait 5000 cas par jour. J’arrive pas à y croire. J’ai l’impression d’avoir changé de dimension. De vivre dans ma paranoïa.

Je sais qu’il y a des gens qui ne veulent pas toute cette mort.

Mais il y aussi plein de gens qui disent avoir « appris à vivre avec le virus » et en être fiers. Mais quelle belle preuve de résilience ! Pour eux, « apprendre à vivre avec le virus », c’est bien devenu apprendre à accepter tous ces morts. Nos proches, nos moins proches, des gens célèbres, des inconnus, des vieux, des jeunes, de tout en fait. C’est comme ça. C’est une pandémie. C’est une fois tous les 100 ans. Faut bien continuer de vivre.

« Vivre avec le virus », cette phrase ne cessera de me torturer, jamais.
L’entendre, c’est chaque fois une petite mort en moi, toujours.

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La valise à médicaments

What ? On est en mars et elle part déjà en vacances ? Elle va dans les îles peut-être ? Non on lui prête deux semaines un p’tit appart en Europe ? Mais alors pourquoi elle fait sa valise maintenant sérieux ? Elle part quand en fait ?

Je pars dans 28 jours + 4 jours.

Mais pourquoi elle dit pas qu’elle part dans 32 jours ? ou dans 1 mois tout simplement ?

Vous vous souvenez de « La charge mentale » ? Pour la sécurité sociale, un mois c’est 28 jours. Surtout pour les ordonnances sécurisées. Pour les autres ordonnances, vous avez le droit de les renouveler tous les 21 jours, une aubaine pour moi là parce que je vais pouvoir renouveler 2 fois avant de partir, et ainsi avoir quelques comprimés d’avance, qui ne seront pas de trop au cas où je reste plus longtemps pour ixe mille raisons.

Donc aujourd’hui, à J-(28+4) de mon départ, j’ai passé 2heures à compter et recompter, le traitement de base, le traitement de crise, le traitement des petits bobos au cas où. Oui parce qu’on a beau avoir un traitement de base, ça n’empêche pas d’avoir des petits problèmes annexes parfois.

Je parle toute seule à voix haute, je compte lentement les comprimés et les jours comme si j’étais à l’école primaire, je calcule avec ma calculatrice de trucs trop cons comme 13+4. À la moindre erreur, un manque de comprimés, et c’est le drame. Je parle à voix haute comme si la pharmacienne était en face de moi, elle m’avancera s’il-vous-plaît 2 boîtes de ci 3 boîtes de ça, je lui laisserai ma carte vitale pour qu’elle puisse faire la facturation, la veille de mon départ je viendrai lui laisser une seringue qu’elle acceptera de me garder dans son frigo parce que mon frigo va lâcher d’un jour à l’autre, le lendemain du retour je reviendrai chercher cette seringue + les ordonnances des 5 boîtes de ci et de ça. Vous avez suivi ?

Ça c’est la comptabilité théorique et la prévision de mes arrangements avec la pharmacie. Ensuite il s’agit de prendre rdv avec mon médecin traitant pour lui dire que je pars en vacances et que donc sur l’ordonnance sécurisée il va falloir faire croire qu’on augmente un peu mon traitement pour que j’aie un peu plus que 28 jours parce que je pars dans 32 jours mais que la dernière validation de mon ordonnance sécurisée date d’il y a 17 jours et qu’on ne peut pas chevaucher les validations des ordonnances sécurisées. Vous avez bien suivi ?

Ensuite il va s’agir de faire la valise à médicaments. Je vais mettre dans un grand sac en vrac des comprimés pour 21 jours puisque je pars 14 jours mais je rajoute toujours des jours, ici 7, au cas où mon avion est annulé (surtout en ce moment, why not) et que peut-être faudra alors supplier un doctor sur place pour me prescrire ma totale en lui montrant mes ordonnances dans une langue qu’il ne comprendra même pas.

J’établis une liste exhaustive des médicaments de base, de crise, de petits bobos. Il y a selon l’humeur des valises à médicaments optimistes (toutes petites) et des valises à médicaments pessimistes (très grosses).

Depuis tout à l’heure je dis valise mais en général je cale ce gros bordel dans un sac à dos type sac de rando, parce qu’on ne met jamais Ô grand jamais ses médicaments en soute (encore moins ceux conservés dans les pains de glace) on les garde au plus près de soi comme s’ils étaient une extension de vous-même. Quand vous montrez le contenu du sac à la sécurité, on prend Madame pour une grande hypochondriaque, ça fera rire un bon bout de temps un paquet de machos de la sécurité, même si en principe c’est le 8 mars la journée de la femme alors quand même on pourrait s’abstenir aujourd’hui.

Voilà. 2 heures pour les comptes, 30 minutes pour le blog. Ensuite le temps chez mon médecin généraliste, le temps chez mon pharmacien, au moins 4 fois. Je pars seulement 14 jours en Europe.

C’était ma valise à médicaments.

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