La guerre des gangs à l’hôpital

Bon. Y a pas que les petits vieux qui ont plusieurs maladies chroniques. Peut y avoir aussi des petits jeunes. Mais j’ai l’impression que dans l’idée générale de la société, le malade a UNE maladie.

Ainsi, souvent on me demande. « Ah bon, tu es malade ? C’est quoi TA maladie ? ». Et là je suis super embêtée. Est-ce que je dis la grosse maladie rare que personne ne connaît et qui embête le plus tout mon gros corps ? Est-ce que je dis la très connue, très localisée, et donc tout le monde va être très emphatique sur mon ventre mais personne ne comprendra jamais pourquoi j’ai mal partout ailleurs ? Est-ce que je dis la toute petite très rare, qui ne fait quasiment aucun symptôme mais qui peut être mortelle ?

En fait, plein de gens ont plusieurs problèmes, mais on n’en parle pas beaucoup. Je me dis que peut-être que les gens qui ont plusieurs problèmes n’ont pas le temps de faire du blogui-blogua comme moi.

Eh oui, parce que ça prend du temps d’être malade, et c’est éprouvant. Allez, c’est parti pour la dernière anecdote croustillante en date.

Les maladies rares sont suivies dans des Centres de Référence. Souvent à Paris ou en RP (=Région Parisienne). Souvent avec des Grands Professeurs à la tête des Centres. Et si ce ne sont pas des Grands Professeurs à la tête, ce sont souvent des Grands Docteurs à la grosse tête.

Moi je suis donc suivie dans deux Centres de Référence maladie rare, pour les deux maladies rares. Pour la maladie pas rare, c’est plus simple.

Rendez-vous annuel de suivi chez le Grand Docteur du Centre de Référence n°1, de la petite maladie mortelle qui concerne un tout petit organe : « Oh là là c’est pas bon, ça ne va pas, le bilan sanguin montre que la maladie reste là sans bouger, ce n’est pas normal elle devrait s’améliorer, est-ce que vous avez bien suivi mes consignes ???!! » Regard noir du Docteur.

J’ai de la chance, l’évolution de la maladie rare n°1 se contrôle au bilan sanguin. On ne peut pas faire rentrer là-dedans le psychologique, le psychosomatique, la qualité de vie, ma volonté de guérir, mon éventuelle tendance à l’exagération … Mais du coup le Grand Docteur n°1 n’est pas content que sa technique de guérison ne fonctionne pas. Il me soupçonne de mal suivre le traitement : « Ça n’arrange pas mon affaire ce que vous faites Madame Manon !! ». Re-regard noir du Docteur.

« Mon affaire ». C’est l’affaire de qui la maladie en fait ? Du patient qui vit avec chaque seconde, ou du Grand Docteur susceptible qui voit le patient 15 minutes par an ? Bon, passons sur cette affaire.

Rendez-vous annuel chez le Grand Professeur du Centre de Référence n°2, de la grosse maladie qui envahi tous les organes. La maladie est toujours là. Le Grand Professeur est habitué, un peu blasé, mais pas fâché. Chaque être humain son style, chaque Docteur/Professeur son humeur. Je lui parle de la maladie n°1 qui ne guérit pas, et je lui demande si ça peut être à cause de la maladie n°2. « Oui ! » qu’il me dit.

Ah ben me voilà moins bête. Et moi de me dire que si Grand Docteur n°1 et Grand Professeur n°2 se parlaient, ça m’éviterait de me faire molester en consultation n°1. Alors Grand Professeur m’assène, comme si j’étais une petite externe : « Que Grand Docteur n°1 me contacte, donnez-lui mes emails et téléphone ! »

Vous sentez venir le truc ou pas…?
J’écris comme convenu à Grand Docteur n°1…
Je lui dis que Grand Professeur pense que si la maladie n°1 ne guérit pas, ce n’est ni ma faute, ni la sienne, c’est probablement la faute à la maladie n°2. Je lui donne les coordonnées de Grand Professeur comme enjoint.

Quelques jours plus tard, réponse du Grand Docteur n°1 : « Que Grand Professeur me contacte, vous connaissez mes coordonnées ! »

Eh voilà. Un joli dialogue de sourds en bonne et due forme.

J’en suis venue à me dire que c’était vraiment pourri d’avoir plusieurs maladies. Que c’était pourri que des Grands Coqs soient à la tête des Centres de Référence. Que à la base le métier de Docteur ça n’était pas de jouer à savoir qui aurait la plus grosse.
Tête bien sûr.

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