Archives mensuelles : novembre 2017

Mon cœur ouvert par l’hôpital

Bon. J’ai dévoré Martin Hirsch. La tête de l’Assistance Publique. C’était un bon repas d’hôpital. En fait c’est son dernier livre que j’ai lu. Mais j’aime bien cette idée de manger le Directeur Général de l’Hôpital. Et quel Hôpital ! L’Assistance Publique, le plus gros employeur d’Ile-de-France, le plus gros hôpital d’Europe ! J’ai bien mangé. Bon, c’est juste une idée hein, j’aime pas trop la viande en fait.

Alors, de mon côté, en bon produit des deux grands services de notre pays qui méritent bien une majuscule d’après Martin (on va l’appeler Martin, ça fait moins peur que Directeur), m’étant assise sur les bancs de l’École et dormant de temps en temps dans les lits de l’Hôpital, je vous fais ma petite fiche de lecture…non conventionnelle néanmoins. J’aurais eu une mauvaise note en hypokhâgne !

C’est le premier de ses livres que j’ai lu. Je ne sais pas pourquoi, je n’aime pas trop lire les vivants d’habitude. Comme on disait entre collègues quand j’étais vendeuse à la librairie parisienne Gibert Jeune, avec des airs snobs de libraires toujours nostalgiques : « La littérature actuelle, c’est plus ce que c’était ». Du coup, je lis plutôt les morts. En fait je crois que j’aime les morts. Ils ont l’expérience de la vie, et de la mort d’une certaine façon. Je les lis pour les consoler de leur mort aussi, et pour les remercier pour leur vie. Et enfin j’ai l’impression de leur parler ; et ça, c’est carrément transcendant. Parler avec un vivant, même si c’est une star ou un Directeur Général, c’est quand même beaucoup plus normal que de parler avec un mort. Donc moins excitant. Bon, est-ce que je ressemble à un anapath’ (=anatomopathologiste) bizarre là à aimer autant les morts ?! Probablement.

La couverture du livre me gêne un peu. Il y a le titre : « L’hôpital à cœur ouvert ». Et puis en dessous y a la photo du Directeur. Je me sens observée par cette photo. Ces dernières semaines, j’ai posé le livre sur la table de nuit près de de mon lit, à côté des benzodiazépines. J’étais mal à l’aise. J’avais l’impression que le Directeur était passé me délivrer mon traitement du soir, comme en hospit’. Ou qu’il me faisait le regard noir du Docteur qui me dit que je consomme les benzos comme des bonbons. Bref, du coup, pour être plus à l’aise avec cette photo qui m’observait, j’ai souvent retourné le livre, pardon.

J’ai bien aimé ce livre. Il n’y a pas trop de mots croquignolesques qui vous poussent à ouvrir le Larousse. Il y en a la bonne posologie. La bonne dose de « boutades » et la bonne dose de sérieux. Je l’ai lu comme une enfant de l’Assistance Publique. Sans a priori, sans a posteriori. Sans colère. Et j’ai ressenti un truc bizarre, un peu comme mon problème avec la photo de couverture. Le genre de trucs qui se passent dans la nouvelle fantastique La Cafetière de Théophile Gautier :

A chaque fois que j’ouvrais le livre, j’étais téléportée en hospitalisation. J’étais dans une chambre seule aux maladies inf’. Au milieu du classique défilé, infirmier, aide-soignant, interne, psychologue, diét’, externe, sénior, le Directeur était venu toquer à la porte de ma chambre. Je le voyais là s’assoir à côté de moi et me raconter, simplement, son livre. Et moi écouter.

Il essayait de me faire rire parfois, en me disant que le cœur de son métier c’était de faire en sorte que les ascenseurs ne soient pas en panne, avec ses anecdotes sur Bernard et Lionel (Kouchner et Jospin) ; Lionel qui était très attaché à son alcool, Bernard qui essayait de calmer la conso d’alcool des français, à l’époque où il était secrétaire d’état à la santé.

Je suis étonnée de tous les trucs qu’il me raconte et que j’ai aussi balancés sur le blog ; il y a beaucoup de points communs. Ça s’appelle dans le jargon, l’intertextualité ; celle de Roland Barthes étant moins prohibitive que celle de Julia Kristeva ; regardez : il appelle l’assistance publique comme j’appelle la maladie. Un mastodonte, un gros morceau, un paquebot, un monstre. Bingo Le monstre. Il me raconte que des gens lèchent les bottes du Directeur pour se faire soigner comme dans Les statues de l’AP-HP. Je retrouve Le bon secrétaire quand il raconte la bonne secrétaire du directeur général. Le prince aux petits pois dans le chapitre très intéressant sur l’hôtel et l’hôpital. Le mauvais ménage de La douche chaude quand il dit que l’argent et la santé font mauvais ménage. Bon ok là c’est moi qui extrapole, c’est plutôt lié à mon Docteur K, dans Le maître de mon corps. Enfin il dit tellement souvent « infirmières » pour « infirmiers et infirmières », peut-être un pied de nez au débat sur l’écriture inclusive, que du coup j’ai fini par y voir mon infirmière au bord de la crise de nerfs.

Donc bref, je me dis que Martin est plutôt lucide sur la vraie vie à l’hôpital. Je ne pensais pas qu’il serait aussi bavard. Il me raconte ce qu’il essaye de faire pour que des choses soient mieux, il me raconte quand ça marche un peu, il me raconte quand il s’en prend plein les dents. Il me parle de la reconnaissance en me disant que le premier qui en a parlé c’est Hegel. J’aime bien avoir des nouvelles de Hegel, il est mort. Il ne me parle pas d’esthétique. Dommage, pourtant à l’hôpital, il y en a. Bref, je le trouve sympa. Je me rends compte que je n’ai pas envie d’être à sa place. C’est trop énorme comme boulot. Lui il a fantasmé son poste, moi aussi j’avoue, ça m’a parfois traversé l’esprit. A chaque fois que je voyais un problème je me disais « bon sang si j’étais la directrice… » On se dit souvent que c’est « de là haut » qu’on peut éventuellement améliorer des choses, alors on a envie d’y aller.

Et puis j’ai eu un big reflux dans ma perf’ ; classique problème de patient. Je ne fantasmais plus son poste du tout, je m’inquiétais pour qu’on garde ma perf’, et qu’on ne repique pas ailleurs. Il fallait qu’on reste chacun à notre place : moi en blouse dans le lit, lui en costard sur la chaise. Je n’écoutais plus trop ce qu’il me disait. Je me souvenais avoir déjà croisé Bernard au Lux‘ en train de faire son jog’. À l’époque où j’allais bien et où moi aussi comme Bernie je faisais des jog’. Avant que le couperet hasardeux de Darwin ne décide que c’était fini pour moi, et avant que le système de santé français ne décide qu’on allait s’acharner sur moi pour me garder encore un peu. Martin continue de me parler des méga problèmes de santé publique, et moi je regarde ma chambre seule, mon lit, ma perf’ et son reflux, et je pense à tout ce fric dépensé pour moi, pour maintenir 1 parmi 67 millions. Pour que j’écoute Martin entre autres. Du coup je me concentre. Y a plein de gens qui payent ma vie. Je leur dois quelque chose. Les écouter c’est sûrement déjà bien.

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Un double A moi

Bon. Je suis allée à un spectacle de malade, genre un spectacle fait par une nana malade. Elle l’a appelé un « Spectacle de malAAde » parce qu’elle s’appelle Anne-Alexandrine, donc deux A. C’était trop bien.

Je ne sais pas trop vous, mais moi c’est clairement la première fois que je vois quelqu’un débouler au théâtre pour parler de sa maladie, pour mettre à nu (oh elle est en blouse d’hôpital quand même) son handicap invisible avec un sacré courage. Ouais parce qu’elle ne se met pas à pleurer sur scène ou faire d’autres scènes quand elle fait tous ses coming out sur sa vie perso. Moi par exemple, quand je vous écris là sur le blog, je me cache derrière mon écran, derrière un pseudo, derrière plein de trucs. Rien ne dit qu’entre deux phrases de blagounettes je ne vais pas pleurer un coup, me dire que c’est pourri tout ça, que je préfèrerais carrément être blogueuse mode (ouais hein) ou voyages (voilà quoi) plutôt que de parler de la maladie sale et de l’hôpital.

Donc elle non. Elle ne pleure pas. Elle a plusieurs maladies dont une qui impacte sa diction. Du coup pour le théâtre on pourrait croire que c’est un handicap total : ben non. Elle parle lentement, distinctement, elle parle très bien même. Y a plein d’émotions sur son visage qui sont partagées aussi. La salle est plutôt petite, même myope vous la voyez bien. Elle vous regarde elle aussi, elle vous fait parler, elle descend parmi le public, elle vous claque des bises au hasard en plein spectacle. Vous la regardez performer et vous vous souvenez qu’avant ce cirque (un joli cirque) elle était avocate. Ça se tient. On n’aurait pas aimé être face à elle dans un procès.

Elle nous parle pas mal de sa maladie numéro deux, la sclérose en plaques. Elle nous explique ses symptômes. Elle rit de ses symptômes. On rit aussi avec elle. C’est stylé. Elle raconte d’une part des choses très personnelles : par exemple, comment on fait pipi dans un pot au labo d’analyses médicales. Alors j’en profite pour vous glisser mon avis très personnel mais très universel sur le « pipi au labo » :
– Le médecin vous prescrit des analyses à faire « au labo d’analyses ».
– Souvent vous pensez que c’est une simple prise de sang.
– Souvent le médecin ne vous dit pas qu’il faudra faire pipi dans un pot.
– Mais au fond de lui il sait et il vous aura fait un petit sourire en coin.
– Donc vous au labo vous découvrez qu’il faut faire pipi (un indice, vous regardez votre ordo, si ça se termine par -urie c’est bingo pour le pipi).
– Et là Karine du labo va vous tendre un mini pot de allez 2.5 centimètres de diamètre et vous dire « Les toilettes à gauche au fond du couloir ».
– Si vous êtes à Paris, les toilettes ne font même pas 2.5 mètres cube et vous ne pouvez pas faire la chose sans toucher tous les murs de ce foutu endroit étriqué.
– Et donc évidemment, sclérose en plaques ou pas, tremblements ou pas, rassurez-vous, tout le monde se met du pipi partout (=le fameux petit sourire en coin du médecin).

Pour maximiser vos chances de viser juste dans le pot, moi je vous conseille donc de tester tous les labos de votre ville et de leur demander dans quel genre de pot on vous fait pisser. De même pour le matos pour le caca. Y a des labos plus ou moins sympas. Vous choisissez bien entendu celui qui vous offre la plus grosse. Y a des labos qui fournissent en même temps que le pot un sac opaque pour protéger votre pudeur. Donc voilà. Pendant ce spectacle de malAAde, vous en apprenez un peu sur le pipi dans le pot. Mais finalement pas tant que ça sur la vraie vie de Double-A. Elle explique 4 ou 5 symptômes, mais sur le reste elle reste discrète, n’en faisant pas un spectacle voyeur, et respectant la pudeur, un peu comme le sac opaque du labo d’analyses élégant.

Mais vous êtes super curieux. En fait moi j’étais impressionnée et donc à l’affût de tous les points communs entre nous. On a toutes les deux environ trente ans, on est brune, on est pas trop grande, on est malade depuis environ le même temps. Elle a plusieurs maladies déjà et moi aussi et du coup c’est drôle tout ça. Elle dit plein de trucs où vous vous dites « Tiens, moi aussi ». Bref, je me suis dit cette nana, c’est un double à moi. Ok un double DE moi en principe, mais je vous rappelle qu’elle est un double A. A moi et aussi à vous tous, même les pas malades, même ceux qui vont juste en hospit’ une fois tous les 10 ans pour leurs colites néphrétiques. Vous vous sentez pareil.

Du coup ça confirme ce que je me dis souvent. Son spectacle ce n’est pas le spectacle de quelqu’un qui a une sclérose en plaques (= une SEP), c’est celui de quelqu’un qui est malade. Je me dis souvent qu’on serait plus forts si on était moins communautaristes dans les maladies. Parfois il n’y a aucun symptômes communs entre deux maladies de Crohn. Il peut y avoir un gros gars constipé pendant trois semaines par une sténose terrible et une crevette toute maigre qui n’a pas grandi parce que tout ce qui rentre dans son corps sort aussitôt, façon « Boire en pissant », une expérience des 101 Expériences de philosophie quotidienne de Roger-Pol Droit. Parfois les conséquences d’un Crohn stabilisé sont plus proches de celles d’une SEP stabilisée. Bref, il faut carrément assister au spectacle de cette artiste, et pas aller voir « une nana qui raconte sa sclérose en plaques ». Parce que évidemment c’est aussi le spectacle d’une véritable artiste, qui est malade, et pas juste le spectacle d’une nana malade.

En sortant du spectacle, vous vous êtes trouvés plein de points communs avec Double-A et vous êtes super contents. Mais y a une question qui vous taraude. Vous vous dites qu’en fait en fond d’écran derrière tout ça, y a un truc encore plus invisible que la maladie invisible, un truc qui est une sorte de Graal que tout le monde veut atteindre, malade ou pas : l’acceptation. L’acceptation de sa situation, quelle qu’elle soit. En ce moment la mode c’est vachement la méditation pour y arriver par exemple, ou la sophrologie (genre toutes les pubs pour devenir sophrologue dans le métro).

A l’époque où Artus était beaucoup moins connu que maintenant (ouais moi je vais surtout voir des petits acteurs qui montent pour les soutenir, du coup vous savez déjà ce que deviendra Double-A plus tard) je l’avais vu au très intimiste café Oscar pour une série de Volte Vannes. Il avait fait son sketch Le Gaybecois. Alors pour ceux qui ne connaissent pas Artus, Artus fait des horribles blagues d’humour intensément noir (aussi intense que le noir de ses vêtements, genre lavés uniquement avec du Vanish pour faire ressortir la couleur) sur le handicap et les handicapés. Perso je déteste. Après clairement le gaillard a du talent, et il a l’air sympa, donc on lui pardonne. Et on lui fait confiance sur le reste. Donc dans ce sketch, Artus nous faisait répéter tous en chœur « J’accepte ». Au Café Oscar on n’était pas nombreux mais on acceptait super fort sous son impulsion. Je répétais assez bêtement moi. Et je crois qu’il m’a fallu le spectacle de Double-A pour enfin comprendre le spectacle de Artus. On a l’impression qu’elle impulse la même chose cette Double-A. Invisiblement, tout au long de son spectacle, en fond d’écran, telle Artus ou un chef d’orchestre elle lève les bras vers vous, elle vous dit « J’accepte » et vous le répétez avec elle à l’unisson. Et ça résonne encore.

Par exemple, dans la queue pour entrer dans la salle voir Double-A, y avait une mère qui criait sur sa fille parce qu’elles s’étaient trompées de queue parce qu’elles étaient venues pour assister à 1984, de Orwell. La mère défonçait la fille juste pour une erreur de file. J’ai eu envie de lui suggérer que Double-A c’était bien aussi. Cette dame aurait bien fait de venir accepter un peu plus avec nous. C’était pas si grave cette erreur de sa fille. Sûrement moins pire que les erreurs qu’elle est allée faire devant l’œil de Big Brother.

Moi depuis ce spectacle, je vis sous l’œil de cette Big Sister. Je repense à plein de trucs qu’elle a dits. Je ne vous dis pas tout pour vous inviter à aller la voir vous aussi. Elle sera au festival d’Avignon l’an prochain, on lui souhaite de briller.

PS : Double-A a participé au concours « talents de patients » du leem (=les entreprises du médicament), et c’est grâce à ça que j’ai entendu parler d’elle. Elle n’a pas gagné, mais ce ne sont pas toujours les gagnants qui gagnent. On ne connaît guère plus que Olivia Ruiz de la Star Académy numéro un…

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La mission handicap

Bon, re « c’est le dernier jour de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées », et voilà le deuxième article du jour. J’espère que vous avez bien lu le billet précédent sur la RTQH et que personne n’est en train de se dire là : la RQT…quoi ?

Dans chaque entreprise/institution qui se respecte, et notamment si elle veut se faire bien voir, si le Big Boss a décidé de favoriser la diversité, sous toutes ses formes, il y a une « mission handicap ». Je trouve ce nom un peu guerrier. Visiblement en parlant « handicap et travail » on reste dans le champ lexical de la guerre (cherchez « bouclier », « bazooka », « mission »…y en aura d’autres dans le texte, surlignez-les !). Dommage parce que la paix c’est mieux. Peut-être que c’est la guerre pour qu’un jour ce soit la paix. Donc les gens de la « mission handicap », leur mission est digne de celles de Batman et Catwoman. C’est un peu comme des féministes, mais pour les handicapés : des handicapistes qui se battent (+1) pour qu’un handicapé soit considéré comme un valide, avec toute sa différence comprise.

Je suis très curieuse de ces missionnaires. Je trouve leur mission noble. En général ils sont assez accessibles. Forcément ! Vous pouvez les voir avant même de postuler, pour prendre la température du navire auquel ils appartiennent. Ils n’ont pas le pouvoir suprême des RH, donc vous n’êtes pas obligé de sortir votre costume pour les séduire, comme quand vous voulez séduire le Docteur à l’hôpital pour avoir la permission du week-end. C’est plutôt un « venez comme vous êtes » du McDonald’s.

Bref, comme je suis curieuse j’ai dit, je me suis confrontée à plusieurs de ces missionnaires. Et j’ai envie de vous parler d’un préjugé terrible contre lequel les handicapistes doivent se battre, et qu’on trouve même chez les handicapistes parfois. C’était une de mes premières fois devant une mission handicap. Une des premières questions après le formalisme de politesse habituel, et le léchage de bottes mutuel habituel, a été : « De quels aménagements auriez-vous besoin ? » Très bien. On ne parle pas maladie, on parle conséquences et aménagements. Moi j’ai baragouiné quelques trucs. Puis l’handicapiste a repris les questions : « Vous avez besoin d’un environnement calme, sans stress ? » Là j’ai un peu bugué. Je n’ai pas compris la piste que suivait l’handicapiste. J’ai dit : « Ben non pas spécialement… » en même temps, je réfléchissais à qui de toute façon aime travailler dans un environnement bruyant et stressant… ? Elle n’a pas trop apprécié mon « non », et du coup elle a insisté avec le soi-disant besoin de calme. Elle voulait absolument m’enfermer dans un placard au calme où me déposer comme une petite Belle au bois dormant fragile dans un lit à baldaquin où on aurait baissé tous les drapés ? C’est quoi ce vieux préjugé comme quoi un handicapé ne peut pas vivre du stress ? Je vous explique pourquoi je crois que c’est tout le contraire justement.

Je crois qu’on est entraîné au stress. Un peu comme à la douleur. Pour la douleur, les scientifiques ont prouvé que quelqu’un qui ressentait/avait ressenti beaucoup de douleur dans sa vie, allait être plus sensible à un nouveau stimuli de douleur, même faible, comparativement à quelqu’un qui n’aurait jamais eu mal. Ça, c’est la science. Et puis après, il y a le vécu. Quand on a connu la big méga douleur, on se plaint moins d’une petite nouvelle. C’est juste une de plus. On relativise beaucoup plus facilement. Le stress c’est pareil. Évidemment, comme on l’a dit dans l’article précédent, handicapé=au moins à un moment il y eu de la souffrance, donc peut-être qu’on ne va pas expressément presser comme un citron l’handicapé, ou bien charger la mule démesurément. Mais pour autant, le stress, un handicapé connaît bien déjà, les pires qui soient. Pour ne citer que quelques exemples de stress : avoir la maladie qui vous tombe dessus, vivre avec, se retrouver coincé dans une zone dont on ne peut plus sortir seul en fauteuil, y attendre plusieurs heures, faire coucou à la mort en hospitalisation. C’est ça qui fait vraiment peur. Alors ensuite le stress du travail… si bien sûr on considère des conditions normales de travail, c’est vraiment pas grand-chose à côté du stress de la maladie.

Il y a clairement une sorte de force du handicap. Et c’est le rôle de la mission handicap que de mettre en valeur cette force. Faire comprendre qu’un handicap ce n’est pas QUE une faiblesse. Je reprends ici les justes mots du Professeur Nicolas Leveziel, qui s’exprime sur le site de l’INSERM, concernant des candidatures RQTH : ​ »J’ai été frappé par la qualité des dossiers reçus. C’est comme si le handicap poussait les personnes à se surpasser […] Ce sont des stratégies de compensation impressionnantes, que la plupart des personnes qui ne souffrent pas d’un handicap auraient beaucoup de difficultés à mettre en œuvre. »
Eh oui mon petit Nicolas, c’est bien dit, tout ça.

Pour finir je vous le dis, un jour moi Président, moi Batman, moi Catwoman, moi chef d’entreprise, moi handicapée moi handicapiste, la mission handicap ce serait moi, et le critère de recrutement pour avoir des gens solides à mes côtés ce serait :

« On ne recrute QUE des handicapés ! »

PS : Alors, combien de mots guerriers surlignés ?

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La RQT… quoi ?

Bon. C’est le dernier jour de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) et ça fait longtemps que je veux vous parler d’un truc avec un nom bizarre : la « RQTH » = la Reconnaissance de Qualité de Travailleur Handicapé. Genre si vous êtes handicapé et que vous êtes quand même en état de travailler, la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) vous propose un petit papier qui va vous permettre de vous protéger face au monde des requins du travail, une sorte de bouclier. En réalité, ce papier va vous permettre d’aller voir la médecine du travail (on croit toujours qu’elle sert à rien mais non !) pour aménager votre poste, faire du télétravail, vous proposer un taxi pour faire une certaine distance, etc. Selon votre métier et selon les possibilités du médecin du travail. Ici, je vous propose de décortiquer un à un les mots de l’acronyme « RQTH ».

Prenons Reconnaissance. Peu de gens connaissent la RQTH, même parmi les « handicapés ». On connaît un peu COTOREP. Les « cotos » dont on aime bien se moquer. Enfin moi perso j’aime pas. « Les COTOREP » ça n’existe plus. C’est « les RQTH ». Donc on ne connaît pas, mais on re-connaît. C’est déjà pas mal. C’est important. Ça fait plaisir ; le jour où vous recevez la décision de la MDPH, pour vous dire que le quorum des médecins a décidé de vous « reconnaître », vous vous sentez compris. Vous n’avez pas souffert tout ça pour rien. Vous avez une sorte d’attestation. Vous vous imaginez toute la société devenir gentille comme dans le billet « ma copine Pauline« . Bon là, vous rêvez.

Prenons Qualité. Qualité c’est pas mal. C’est mieux que défaut. Ça ajoute un peu de complexité à l’acronyme par contre. On s’en serait peut-être bien passé du Q. Mais peut-être que les gens qui ont inventé ça aimaient le Q.

Prenons Travailleur. Ça fait sérieux. On comprend bien. Ça rime avec sueur. Ça fait penser aux gars de la mine du Germinal de Zola. Le travail quand on est handicapé ça peut paraître antinomique. Mais pourtant c’est possible dans plein de cas, et y a même des gens dont le travail c’est d’aider les handicapés à travailler. C’est l’objet de l’article suivant. Aujourd’hui, dernier jour de la SEEPH, deux articles pour le prix d’un sur le blog !

Prenons Handicapé. Ben faut savoir que c’est pas facile. Le mot « handicapé », cette situation, cet état de fait, ce truc qui n’arrive qu’aux autres, en général au début vous n’en voulez pas. Y a un long processus de souffrance physique et morale avant de se dire : « bon sang, je suis handicapé ». Peut-être que la rapidité de cette réflexion est aussi liée à la rapidité de votre « passage » vers la mauvaise santé. Peut-être que si demain après un accident de voiture vous êtes assis sur un fauteuil, ça va aller plus vite de se dire qu’on est handicapé. Mais ce n’est pas trivial. Donc conclusion, même face à quelqu’un qui en est au stade où il se reconnaît lui-même handicapé, il faut prendre des précautions avec ce mot. Parce que : « il est handicapé » = au moins à un moment il a souffert de ce mal.

Donc après l’analyse de l’acronyme, dans la vraie vie, ça donne quoi la RQTH ? En théorie ça sert à vous aider, à ce que vous soyez dans les meilleures conditions pour travailler, à vous protéger, c’est comme un bouclier. En théorie. Y a bien des endroits où l’inertie est grande et où on s’en fiche bien de votre RQTH, même si on la comptabilise quand même PARCE QU’ELLE PERMET DE REMPLIR LES QUOTAS. Ah l’éternelle perversité liée à la question des quotas… Aussi perverse que ceux qui aiment trop le Q, justement. La règle dit : « Tout employeur occupant au moins 20 salariés est tenu d’employer à plein temps ou à temps partiel des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de l’effectif total de l’entreprise. Les établissements ne remplissant pas ou que partiellement cette obligation doivent s’acquitter d’une contribution à l’Agefiph, le fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. » Donc il y a une punition d’argent en dessous de 6%.

Quand j’ai demandé ma RQTH à la MDPH, moi je voulais juste mon bouclier. Je voulais qu’on ne me reproche pas mes absences trop nombreuses (pour l’hôpital), mes arrivées trop tardives (pour le labo d’analyses ou pour plaire à la fatigue). Je voulais me cacher derrière ce bouclier. Puis j’ai commencé à entendre parler des quotas… J’ai commencé à entendre les phrases : « Tu sais, c’est super que tu aies ce truc. » Waou. Même : « T’as de la chance. » Waou. Même : « Ça fait plusieurs années que j’ai mal à la hanche, je me demande si je ne vais pas faire reconnaître mon handicap moi aussi. » Waou.

Vous avez compris l’effet pervers des quotas : les gens sont jaloux, oui jaloux, parce qu’ils croient que grâce au bouclier, vous rentrez partout. Genre le bouclier n’est plus une arme de défense, mais d’attaque. Deux choses :

1) La jalousie est un vilain défaut. On fait un vis ma vie de mon handicap ? Tu veux voir si « le quota » va parvenir à compenser tout le poids de mon handicap ? Jamais.

2) Ben non le bouclier n’est pas un bazooka. Oui y a une tonne de personnes handicapées au chômage.

Voilà. Moi quand je me présente auprès d’un employeur, je dis que je suis handicapée. C’est ma passoire à connards. Je garde mon bouclier dans ma poche. Et j’observe. Je vous assure qu’on filtre beaucoup beaucoup beaucoup.

Bon courage à tous les Reconnus de Q de Travailleurs Handicapés ! Aux autres aussi ! Bisous aux jaloux.

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Le cœur du con

Bon. Aujourd’hui j’ai fait un truc que certains vont peut-être trouver mal. Je n’ai rien voulu faire de mal ; je n’ai voulu faire de mal à personne. Aujourd’hui je déménage.

Aujourd’hui, c’était avec un voisin de mon immeuble parisien, à qui je n’avais jamais fait de mal, mais qui lui faisait souvent du mal aux autres. Moi je l’avais vu une fois, je l’avais même trouvé sympa. Et voilà qu’aujourd’hui, il est venu s’en prendre à moi, à moi et mes quatre hommes, moi fragilisée et mes quatre hommes dévoués, pour m’aider à charger mon logement, pour m’aider à vivre, d’après le Docteur, dans un monde meilleur.

Le meilleur de mes déménageurs avait chargé les planches dans l’ascenseur, à la manière d’un artiste – il aurait voulu être un artiiiiiste – Il était un gamer de Tetris. Le bois filait et glissait entre ses mains, allait atterrir en délicatesse au sol, soutenu par un pied, pendant qu’un autre bras attrapait une autre planche… quelle grâce ; j’étais au cirque ou à l’Opéra devant un ballet contemporain. Il avait un beau corps fort. Un peu de gras certes, le gras du bon vivant. J’aurais voulu être le médecin de ce gars. Pour percer le secret d’un corps pareil. Curieuse comme vous me connaissez, je lui ai posé des questions médicales de base. Depuis combien de temps il faisait ça ? 20 ans. S’il avait eu des blessures ? Jamais. Pas la moindre tendinite. Allez au moins un petit mal de dos ? Parfois le soir exceptionnellement mais le lendemain plus rien. Waouuuu. Je voulais ce gros corps solide. L’effort ruisselait sur son visage mais il n’était pas essoufflé. Il était souple, puissant, précis, et jamais malade. Devant tant de pertes et perles hydriques visibles sur sa peau, j’ai proposé de boire de l’eau, il m’a dit non merci. Je lui ai proposé les toilettes. Non plus. Je n’ai pas trouvé la faille dans ce corps. Avouez lecteurs qui bossez à la Sécurité Sociale que vous aussi vous rêvez de ce type !

Et puis dans toute cette admiration sur Damien, il y a eu l’intrusion de Filipo. Filipo le con de voisin. Un businessman en blues sûrement, qui aurait aussi sûrement voulu être un artiiiiste, et qui aurait mieux fait de porter un peu la blouse. Filipo a voulu utiliser l’ascenseur plein de planches artistiquement juxtaposées par Damien, enlacées dans des couvertures douces et chaudes. Ben oui, Filipo il paye les charges de copro (pas -culture les gastroentérologues), donc quand il VEUT prendre l’ascenseur, il PEUT le faire. Alors il a saccagé sans pitié le travail de mon artiste. Il a tout sorti de l’ascenseur. Comme un sauvage. Il a posé les planches sur un sol sale et humide. Il a rayé un miroir contre le mur. Filipo n’aurait jamais pu être un artiste. Il mettait du temps à faire son chapardage.

Malin le Damien a vite senti l’embrouille et est descendu voir la magouille. Filippo pris la main dans le sac, le sac du mépris, de l’impolitesse, de l’égoïsme, du moche, n’arrivait plus à sortir sa main tellement il était coupable. Alors il a insulté le corps de Damien. Traité de colosse, de molosse. Filipo lui, frêle et grêle et gras mais sans grâce, payait ses charges sans élégance.

Damien est venu me relater les faits, puisque c’était moi la patronne dans l’affaire ; c’était moi la mandataire. Damien m’a dit qu’il s’était « retenu de lui casser la gueule parce qu’il y avait ses enfants ». Ah le miracle des enfants. Alors je me suis dit que ça n’allait pas se passer comme ça. Ce con bien connu allait enfin prendre sa leçon.

J’ai lissé mon visage, j’ai pris mon plus grand sourire polissé pas policé, j’ai pris un de mes hommes à qui j’ai demandé de garder le silence et de seulement frapper à la porte. Évidemment le con était aussi bien connu pour être misogyne, alors une femme + un homme c’était mieux. Mais je voulais que ce soit la femme qui parle. Mon homme a frappé tel un policier qui frappe quand il y a le feu à votre immeuble. Je ne vous le souhaite pas, d’entendre un jour ce coup de frappe sur la porte. Mais là, c’était déjà drôle. Le lâche a davantage peur de la frappe que du feu, alors il a pris le temps de regarder par le petit trou de sa porte. Il a vu une femme, il a ouvert, finalement il n’y a vu que du feu.

« Très cher Monsieur, je suis venue m’excuser de vous avoir dérangé en utilisant l’ascenseur pour mon déménagement. »

Le con était désarçonné. Lui qui avait défoncé mes planches délicates s’attendait sûrement à la guerre. Il fantasmait que j’étais venue me battre comme une femme, que je voudrais lui tirer les cheveux, et qu’il serait sûr de gagner parce qu’il était déjà chauve. Il était plus fort sur le terrain de la bêtise. Mais moi je voulais le rendre intelligent ce con. On a parlé. Il m’a un peu écoutée, je l’ai un peu écouté. Il tenait beaucoup à ce que je comprenne le contexte, son « contexte ». Il fallait contextualiser sa vie difficile avec ses enfants, sa vie chargée de businessman en blues qui rentre tard le soir et qui veut utiliser l’ascenseur, pendant que moi je ne faisais rien de mes journées à part le déranger.

Voilà c’était trop tentant. Elle était là l’occasion rêvée. Il fallait faire un coming out. Il fallait lâcher du lourd. Il fallait que ce con comprenne qu’il n’y avait pas que son con-texte dans la vie, mais qu’il y avait aussi celui des autres. Celui de Damien qui travaille bien pour trois fois rien. Et le mien qui paye Damien avec mes miettes de pain. Quand je fais un coming out propre, mes maladies rares sont longues et compliquées à expliquer, personne ne connaît leur petit nom alors j’insiste sur les conséquences. Personne ne comprend bien la gravité, alors je dis que oui ça peut être la mort bientôt. On ne sait pas quand, mais oui elle peut frapper un jour à votre porte comme un policier parce qu’il y a le feu à votre immeuble. Rassurez-vous lecteurs, pour l’instant les médecins et moi, on essaye de contenir le feu. Bon bref voilà, mon contexte à moi, il est compliqué, et je sentais que face à ce con, je n’avais pas droit à beaucoup de texte. Il fallait parler vite et bien.

J’ai remarqué qu’il y a en gros deux trucs qui clouent le bec à quasi tout le monde : le fauteuil roulant et le cancer. Je n’ai pas de fauteuil, et ça se voit. Je n’ai pas non plus de cancer, mais ça ne se voit pas. Je sais bien ce que c’est que le cancer cependant. Il m’a déjà enlevé beaucoup d’être aimés. Avec mes médicaments immunosuppresseurs dont les docteurs et moi on abuse, il me menace aussi, on le sait. Alors, pensant à tous ces êtres aimés, à tous ceux qui se battent contre des maladies plus ou moins méchantes mais toujours chiantes, j’ai dit : « Cher Monsieur, si on contextualisait tout, je vous parlerais aussi de mon cancer. »

Je fantasmais ce faux-vrai coming out depuis longtemps. Pour voir. J’avais laissé tomber une grosse pomme de Newton sur sa tête et l’expérience avait fonctionné.

Le con a pâlit direct. Il a baissé les yeux. Pour la première fois de toute notre houleuse conversation. Il s’est senti con je crois. Je lui ai dis que j’avais encore beaucoup à faire et sur ce coming out je suis partie comme un prince. Il ne m’a pas claqué la porte au nez. Il ne m’a pas souhaité bon courage, il s’est encore moins excusé de quoi que ce soit. Ni de sa bêtise ni de sa connerie ni de ma maladie.

Mais en tout cas voilà, moi je sentais que j’avais gagné. Le cancer l’avait prouvé en moins d’une seconde : le con cachait un cœur.

La maladie a ses pouvoirs que la raison et le cœur ignorent.

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