Bon. Depuis que j’ai commencé les blag sur le blog, vous êtes nombreux à m’écrire et j’adore ça. Entre autres trucs, certains m’ont dit : « on voudrait que tu parles de médecins qui sont des connards ». Je répète « connards » parce que la célèbre et talentueuse médecin et auteure Jaddo emploie ce mot, donc c’est probablement parfois justifié, mais je ne suis pas trop trop pour trop trop de méchanceté. J’ai réfléchi à ce truc des « connards ». Je ne pense pas que ce soient des envies gratuites de médecin-bashing. Mais peut-être que parfois on peut être plus facilement blessé par un médecin que par une autre profession de santé, parce que le médecin a un certain pouvoir, et que la santé c’est souvent la souffrance.
C’est vrai que j’ai majoritairement raconté des gentils médecins. Je crois que c’est parce que quand ça se passe mal, j’essaye de comprendre pourquoi avant d’écrire. Ou bien j’oublie pour ne pas trop souffrir. Parce que oui, je ne vis pas dans un monde de Bisounours, et oui, parfois ça se passe mal.
Alors voilà, aujourd’hui je fais plaiz’ à ceux qui voulaient du croustillant de connard, ou du connard à l’orange, ou du connard laqué. Et je vais vous raconter cette médecin que l’on n’appellera pas. Ça fait 6 mois que je l’ai vue en consult’. J’ai eu le temps de réfléchir, de mûrir tout ça. Je l’avais déjà vue avant deux trois fois, ça ne c’était pas si mal passé que ça. C’était le genre ni spécialement sympa, ni spécialement pas sympa. Assez savante mais ne sachant pas tout quand même. Je l’avais déjà prise en flagrant délit de méconnaissance de l’insuffisance corticotrope par exemple, mais par politesse, je n’avais rien dit. On était entre adultes n’est-ce pas, pas là pour se noter. Et puis, comme dit mon endocrinologue, du Centre de Référence des Maladies Rares de la Surrénale s’il-vous-plaît : « Face à l’insuffisance corticotrope, il y a les endocrinologues, et il y a les autres. » Moi je dirais : « Il y a mon endocrinologue, et il y a les autres », tellement elle est savante, mon endocrinologue.
Bon. Donc je sais pas comment vous expliquer cette fameuse consultation avec Madame n’a pas de nom. Elle m’expliquait ma maladie, je posais des questions. Je posais peut-être trop de questions. C’est peut-être une déformation professionnelle de chercheure. Il y a eu un déclic dans la consultation. Je lui demandais si un médicament était vraiment nécessaire, parce que oui, même si on dirait que j’aime les médicaments tellement j’en prends, en fait non, j’aime pas ça. En tout cas je préfère les prendre quand ils servent. Et là, il y avait un élément du traitement que je ne comprenais pas. Ça a été le tonnerre, la foudre qui a déclenché un déferlement de remontrances. Ça pleuvait sur moi comme des grosses gouttes de pluie tropicale. Ça faisait beaucoup de bruit. Un bruit sourd que même un sourd aurait entendu :
J’avais rien compris à ma maladie, mon mode de vie c’était n’importe quoi, fais pas ci, fais pas ça, touche pas à ci, touche pas à ça, et fais ce que je te dis uniquement parce que sinon JE TE SIGNALE QUE TU VAS MOURIR.
Et bim. Elle avait dégainé son arme fatale, fait tomber son couperet bien aiguisé, la menace de mort, le pouvoir magique suprême du médecin, le pouvoir du prisme lunaire. C’était Sailor Moon. On était toujours entre adultes là ou pas ? J’ai pris un Xanax discrètement pendant son réquisitoire qui ne s’arrêtait pas. Je cherchais le bouton stop. C’est très facile de prendre un Xanax discrètement, ça s’avale tout seul, beaucoup plus facilement que les couleuvres qu’elle était en train de me faire avaler, avec tout ce venin qu’elle me crachait. Elle me cravachait.
Elle a fini par s’arrêter. Elle a souri. Bon sang elle avait kiffé. J’ai arrêté de poser des questions évidemment. Elle s’était enfin stoppée. Elle a rédigé l’ordo. Y avait le médicament que je voulais arrêter. Elle m’a dit qu’on se revoyait dans trois mois elle souriait toujours, elle kiffait toujours. Je ne sais plus trop si je souriais encore moi. On s’est serré la main pour se dire au revoir, comme des adultes.
Une semaine plus tard, j’ai reçu le compte-rendu dans ma boîtes aux lettres, une des fameuses lettres de l’AP-HP qu’on craint tant. Ok tout ça c’est secret, mais je vous livre en amis la petite phrase délicate qu’elle a écrite, entre les « la patiente n’a toujours pas compris sa maladie », « la patiente continue de faire ci, de faire ça, de toucher à ci, de toucher à ça » :
« On est troublé, comme à chaque consultation, par la présentation psychique de la patiente. »
Eh ben dis donc. Moi qui avait été si troublée de m’être fait cravacher, mais qui était restée bien élevée, adulte en somme, voilà qu’elle inondait tous ses Chers Collègues et mes Chers Médecins (des gentils des vrais) d’un compte-rendu 1) accusateur 2) qui mettait en exergue ma présentation psychique. En sus de son pamphlet éloqué bien ficelé de la consult’, voilà, dans ce compte-rendu, elle m’avait notée. Une très très très mauvaise note. Je me suis toujours dit que les profs (mon père était prof) qui aimaient mettre des très mauvaises notes avaient un truc à régler avec la notion de frustration. Je ne peux pas vous dire tout ce qui s’est dit pendant cette consult’, ni tout ce qu’il y avait dans ce compte-rendu. Je peux juste vous dire que j’ai très mal dormi pendant de très nombreuses nuits. J’étais vraiment traumatisée. Il a fallu entre autres y consacrer toute une consultation de psychiatrie. Toute une consultation pendant laquelle j’ai répété ma version des faits, pendant laquelle j’ai dit ce qui m’avait été dit, pendant laquelle j’ai tenté de faire mon propre plaidoyer, pendant laquelle la gentille psychiatre a essayé de me rassurer en me disant qu’on avait tous une présentation psychique et que celle de la médecin sans nom, indigne de son nom, était d’apparence bien plus curieuse que la mienne. J’ai dit à la psychiatre que j’en voulais à cette méchante parce qu’elle m’avait enlevé le sommeil. La psychiatre m’a dit que la méchante ne dormait pas forcément mieux. J’ai aimé ça. Nous imaginer toutes les deux chacune dans son lit ne pouvant dormir, l’une torturée, l’autre torturant.
Aujourd’hui ça va mieux. J’ai été en contact avec des patients à elle, qui m’ont dit que eux aussi, ils ne feraient plus partie de sa patientèle. Ce n’était peut-être donc pas que moi, moi et mes questions, moi et mes problèmes de médicaments, moi et ma présentation psychique, moi et mes problèmes de touchage. Je pense à elle quand je fais un truc qu’elle avait dit de NE PAS FAIRE, quand je touche un truc qu’elle avait dit de NE PAS TOUCHER. Effectivement parfois je touche et ça se passe mal, et je me dis qu’elle avait en partie raison. Mais de là à me menacer de mort… « Quand on sera mort, là on en profitera pour dormir » comme dit ma copine anesthésiste.
Donc voilà, je continue de toucher. Et de faire. Et de vivre. Même si chaque seconde y a de la souffrance. On va tous mourir un jour de toute façon.
Il n’y a qu’une chose à laquelle je me suis promis de ne plus toucher,
c’est à cette sainte-nitouche mal baisée.
PS : l’explication pour le titre, c’est qu’elle me fait penser à un gros bœuf. Je suis désolée, c’est vraiment pas sympa pour les bœufs. Et Proust n’aimait pas les méthodes de Sainte-Beuve. Et moi je n’aime pas les méthodes de celle-là.
Edit : une copine médecin aguerrie avec un grand cœur, m’a dit qu’elle avait vu dans cet article, la peur de l’impuissance, de ne pas être capable de soigner, qui selon elle hanterait davantage les médecins que l’erreur médicale. Or ici, lecteurs au grand cœur, il ne faut voir que la maladie du médecin, puisque c’est bien de ça dont il s’agit. Une maladie confirmée par plein de gens après mes questionnements, en off bien sûr. Pour lire sur le médecin pas malade mais impuissant, c’est plutôt ici sur le blog.