Bon. J’ai encore reçu un compte rendu dans ma boîte aux lettres. Encore un. On avait déjà parlé des courriers en général dans « La lettre de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris». Mais on n’avait pas parlé spécifiquement des comptes rendus. Et des comptes effectivement rendus.
Alors pour les non-connaisseurs, en gros les comptes rendus sont rédigés après une hospitalisation, une consultation, une réunion entre médecins. C’est plutôt une pratique de spécialiste, et c’est plutôt une pratique de médecin hospitalier. C’est vraiment utile un compte rendu quand le cas médical devient un peu compliqué. Si le compte rendu est bien fait, ça permet en partie au patient de se libérer du poids de la redite du passé, de se laisser aller en faisant confiance. Tous les médecins ne font pas toujours des comptes rendus. Le principal objet du compte rendu, c’est le patient évidemment. Ce compte rendu est quasi systématiquement envoyé au patient maintenant, et si ce n’est pas le cas, le patient a le droit de demander à voir son dossier bourré de comptes rendus quand il veut.
On va aller droit au but : je voudrais qu’on cesse les comptes rendus. Ou bien je voudrais ne plus les recevoir.
Je vais régler mes comptes avec les comptes rendus ici avec un argumentaire conventionnel à la française, en trois parties. Il y a trois raisons pour lesquelles je ne supporte plus ces petits courriers. Je vous écris ça maintenant que j’ai reçu plein de comptes rendus avec ma longue expérience de patiente. J’estime avoir une statistique suffisante pour généraliser ma petite théorie.
D’abord, il y a toujours des erreurs dans les médicaments. Tou-jours. Au début je me disais « Bon, c’est normal, ils ont un milliard de patients à gérer, ils confondent ». A force c’est pénible. Ce sont des erreurs de taille bien souvent.
Par exemple : « La patiente est actuellement sous Fosamax » alors que y a jamais eu de Fosamax ni sur mes ordos ni dans mes placards. Ni même un médicament de la même famille ou apparenté.
Ou bien : « lmurel a été inefficace » alors que j’ai fait une méga allergie à l’Imurel. Faudrait pas qu’un autre Docteur ait envie de re-tester l’efficacité de Imurel. Ou bien ce serait efficace pour me tuer. Tout dépend du point de vue en fait.
Allez un dernier petit exemple, mon préféré, et qui revient souvent : « Entrepris par la patiente, en automédication : le médicament X». Ce sont souvent des médicaments X sur ordonnance. Je ne suis pas médecin. Je ne vole pas des ordonnanciers. Je ne vole pas à la pharmacie. Je ne peux pas entreprendre en automédication un truc qu’on obtient uniquement sur ordonnance. Je me demande bien ce qu’on s’imagine encore de plus grotesque sur moi. Que je prends des médicaments par plaisir ?
Médecins lecteurs du blog et lecteurs de comptes rendus, j’espère que vous savez que le taux de confiance de ces bouts de papier, s’ils n’ont pas été dictés en face du patient, c’est 70 % max. On pourrait quand même demander au patient si ce qu’on écrit sur lui est vrai.
La deuxième chose : l’inondation des comptes rendus auprès de médecins que vous n’avez jamais vus ou que vous ne voulez pas qu’ils sachent.
Le rédacteur du compte rendu ne pense pas que des Docteurs Dupont à Paris, il y en a peut-être plusieurs ? Du coup vous vous apercevez désespéré que votre courrier destiné à votre Docteur Carole Dupont se retrouve chez l’inconnu Docteur Michel Dupont. Pareil, les premières fois on se dit : «Bon, ce n’est pas bien grave, Michel va juste jeter le courrier à la poubelle ». Mais à force, c’est pénible. Il y a quand même sur le compte rendu en gros et en gras mon prénom et mon nom et ma date de naissance. Mon histoire très personnelle. Des choses que j’ai choisies de dire à un docteur en qui j’avais confiance. D’où Michel doit savoir que j’ai des hémorroïdes ? Le sida ? Imaginez si par je ne sais quel hasard je connais Docteur Michel dans la vraie vie ailleurs que la maladie ? Si c’est mon employeur ? Si c’est mon pote de bar ? Si c’est mon père ?
Que je sache, la belle idée dans l’organisation du soin en France (la vraie belle idée, que j’espère on préservera malgré l’avènement du tout numérique), c’est qu’on décide de ce qu’on dit et de à qui on le dit.
Enfin le compte rendu peut débouler aussi chez des médecins que vous ne voulez pas. Je n’ai pas forcément envie que mon Docteur du caca sache que j’ai un désir de grossesse. Parce que je voulais d’abord en parler avec le gynécologue avant de prendre une décision et de le dire à tout le monde. Je n’ai pas forcément envie que mon Docteur du poumon sache que j’ai eu un épisode de dépression majeur dans ma vie. Parce qu’on s’entend super bien mais que j’ai déjà remarqué sa phobie des problèmes psy.
La troisième raison : les médecins utilisent parfois les comptes rendus pour régler leurs comptes. Pour montrer qui est le plus fort. Qui a la plus grosse. Du coup ils vous utilisent vous, alors qu’ils ne s’aiment pas eux.
Exemple : le Docteur C prescrit de la cortisone et il envoie un compte rendu à tous ses Chers Collègues pour les en informer. Mais le Docteur K n’est pas d’accord avec la prescription de cortisone. Et puis de toute façon il n’a jamais aimé ce Docteur C qui se prend pour plus que ce qu’il n’est, parce qu’il est le Chef de Service. Alors le Docteur K vous dit d’arrêter la cortisone. Alors il écrit un compte rendu pour dire que le patient ne prendra pas la cortisone parce que d’après lui ça ne changera rien à la clinique. Au final, vous le patient, vous êtes la petite balle de ping-pong sur qui on tape à chaque coup de compte rendu.
Je vous résume le match : vous prenez la prescription de cortisone du Docteur C, un point pour lui. Mais joli contre du Docteur K, et vous arrêtez subitement la cortisone, un point pour l’autre. Le Docteur C va vous remettre un coup de raquette dans la face pour marquer un dernier point : il rédige un compte rendu sur lequel il est écrit que « Le patient a interrompu de sa propre initiative son traitement à la cortisone. » A ce moment-là, vous, vous êtes la petite balle blanche de ping-pong qui se prend le filet. Vous ne savez même plus qui a marqué le dernier point. Il n’y a plus de coup de raquette valable de toute façon. Sous l’effet du choc contre le filet vous glissez sur la table, et vous tombez sur le sol. Vous rebondissez plusieurs fois… avec une énergie de plus en plus faible… Vous vous immobilisez. Éventuellement après quelqu’un viendra vous ramasser.
Dans la vraie vie, c’est déjà pas facile de faire une belle médecine rigoureuse. C’est normal, le corps humain c’est compliqué. Alors pourquoi on vient encore compliquer ce phénomène en couchant par écrit, un ramassis de conneries ?
Les petites balles de ping-pong blanches ont des cerveaux et des cœurs à l’intérieur. Elles en ont marre de toutes ces erreurs.
NB : cet article a été repris dans la revue Precrire du mois de mars 2018. C’est raconté sur le blog ici.