Bon. J’étais hospitalisée. Promis un jour j’arrêterai de vous parler d’hôpital ; la maladie chronique c’est pas que ça. Mais quand même l’hôpital ça a ses perles. On dira ici pour les besoins de cet article, l’hôpital ça a ses pois, les perles et les pois étant assimilés à des sphères idéales de rayon quelconque R et de centre O. Pas ses poids. Ses pois.
Donc j’étais hospitalisée. « Soyons francs puisqu’on est en France », je me souviens d’un type perfusé en train de balader dans les couloirs, qui assénait ça au tout-venant, avec un petit air de folie néanmoins avenant. Donc, soyons francs, je me faisais chier, sans mauvais jeu de mots. Du coup, j’avais l’ouïe et l’œil à l’affût de tout. Vous visualisez votre gardienne d’immeuble portugaise ? Voilà c’était moi (je me permets ce vieux racisme à deux balles un peu car je suis une « binationale » et que j’aime profondément mes deux pays).
Je voulais les petits potins entre aide-soignants, infirmiers, brancardiers, séniors, internes, externes, savoir qui était quoi, qui faisait quoi avec qui. Et puis y avait les voisins. Les malades donc. Sans se connaître, sans même se voir, on savait vachement de trucs les uns sur les autres. On savait qui crachait, qui toussait, qui avait la diarrhée, qui vomissait, qui râlait, qui pleurait, qui criait. Un jour je me souviens m’être dit : « tiens lui il a moins vomi aujourd’hui, il va bientôt sortir ». J’aimais bien m’imaginer la tête qu’il avait celui qui vomissait. Son métier. Sa vie à côté de la maladie. Je m’imaginais tout. Du SDF au Prince du Qatar.
Un jour y a eu un nouveau voisin en face de ma chambre. En face c’est super comme spot parce qu’on entend beaucoup plus que vomi, pipi, etc : on entend la voix. Alors j’ai tout écouté. D’abord c’était un homme. Y a en premier l’interne qui est venu, il a fermé la porte, zut. Puis y a eu l’externe. L’externe c’est trop mignon. Genre ça oublie de fermer la porte. Et puis c’est tout timide. Ça vous dit : « Bonjour je suis l’externe » alors que potentiellement vous savez pas ce que c’est qu’un externe. Première définition du Larousse : « Élève qui suit les cours d’une école sans y coucher et sans y prendre ses repas. » Donc : il est mignon il suit les cours à l’hôpital mais il y couche pas et il y prend pas ses repas ? C’est pas ça en fait. Bref, peu importe. L’externe, aussi, il ne dit pas : « Je dois vous faire un toucher rectal », il dit : « Excusez-moi, si vous voulez, enfin, si vous acceptez, je vais vous faire un toucher rectal, c’est nécessaire, parce que l’autre jour y a un patient qui est arrivé, à qui j’ai pas osé faire de toucher rectal, il est reparti, et il est revenu cinq jours après avec un abcès gros comme un abricot, et je me suis fait engueuler, donc encore désolé, faudrait que je vous fasse un toucher rectal, s’il-vous-plaît, vous comprenez ». Voilà c’est vraiment trop mignon un externe. Bref, de l’externe je n’ai pas appris grand-chose non plus sur le voisin d’en face, ils ne parlaient pas assez fort.
Et là est venu le diét’ (éticien). J’aimais bien le diét’ il était super sympa. Il parlait fort. C’était pratique. Du coup il a commencé à parler bouffe avec le voisin d’en face : « Vous mangez quoi d’habitude ? vous avez des restrictions particulières ? ». Et le voisin de répondre : « Je commence chaque repas par une assiette de petits pois, j’aimerais continuer comme ça ici, je les aime ni trop chauds ni trop froids, tièdes c’est bien…blablabla…blablabla… ». Vous avez bien lu. C’était 1) un grand bavard 2) il commençait chaque repas par une assiette de petits pois ! Ha-llu-ci-nant. Je vous jure que j’invente pas. Ok parfois quand j’écris ici je mélange un peu les histoires, je rajoute un peu des descriptions où mon imagination de gardienne d’immeuble en kif logorrhéique se perd, mais là non. Le mec commençait chaque repas par des petits pois. Et il voulait que ça continue à l’hôpital. Je sais pas où ira mon blog, mais je me dis que ça pourrait devenir un petit guide pour les malades. Genre comment survivre à l’hôpital, à la MDPH, à CAP Emploi, etc…et ce Prince au petits pois, il aurait peut-être eu besoin d’un guide comme ça. Parce que, pour ceux qui savent pas, l’hôpital en fait c’est pas le Flunch. On choisit pas comme ça en mode posey. D’un autre côté c’était louable. Le mec, dans la rude et dure épreuve de la maladie, poursuivait droit dans ses bottes, le long fleuve tranquille de sa vie. Et voulait donc continuer la routine des petits pois. Moi j’ai cru que le diét’ allait lui expliquer. Que ce serait pas possible. Ben non. Le diét’ qui était super sympa a dit « Monsieur, on va voir ce qu’on peut faire, mais vous savez c’est compliqué…blablabla… ». Le diét’ était sympa et bavard aussi. Voilà. Évidemment, les repas sont arrivés, le Prince aux petits pois n’a pas eu ses petits pois. Il n’est pas resté longtemps. J’ai pas réussi à savoir si c’était à cause qu’il avait pas eu ses petits pois.
Lecture annexes :
La princesse au petit pois de Hans Christian Andersen. Rayon Jeunesse.
L’élégance du hérisson de Muriel Barbery. Une gardienne d’immeuble. Sublime.