Bon. Ça y est les gens ressortent un peu. On me demande : « Alors ça y est tu sors ? » Et moi je réponds : « Ça y est, je ne sors plus. » Tiens, mais pourquoi ça ?
Pendant le confinement, il n’y avait personne dans les rues, personne chez le médecin, personne au labo d’analyses, personne au centre d’imagerie. Du moins, pas beaucoup de monde. Quel bonheur d’avoir tout le trottoir pour soi en fauteuil roulant. Quel bonheur de ne pas attendre chez le médecin. Des chaises partout, en veux-tu en voilà.
Et puis ensuite, déconfinement oblige, les gens sont ressortis. Bien sûr, il fallait bien qu’ils sortent. Ça les avait soûlé cet enfermement. Puis fallait qu’ils sortent avec un masque, alors ils étaient vénère intérieurement. Ça gratte ici, ça irrite là, vraiment chiant quoi. Décidément la maladie, comme c’est pénible. Elle nous maintient à la maison, elle nous irrite le visage et le cerveau, parfois même elle tue, et alors on est vraiment triste. Bref, la maladie, « c’est devenu l’affaire de tous ».
Dans un premier temps j’ai pensé : « hummm mais très bien, très bien, les gens vont enfin comprendre ce que c’est que de subir la maladie ».
Et puis j’ai compris ce qui s’est passé vraiment dans les têtes. Ça y est. La maladie, on la subit tous. On doit tous faire la queue pendant des heures à 1 mètre de distance chacun. Ça casse les couilles. Tout ce temps perdu à attendre à faire la queue. En profiter pour méditer ? Foutaises.
Ah tiens, y a un Papy dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. Il a le dos tout courbé. Il regarde par terre. Il a un masque mal mis, ça couvre un peu tout son visage, je ne sais pas s’il va bien. Ses jambes bougent nerveusement même s’il fait du sur place. Il se tortille le dos. Il regarde toujours par terre. PAPY A MAL.
Ah tiens, y a une nana en fauteuil roulant dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. Une jolie gonz sur le fauteuil, elle me fait penser à « ma copine Pauline« . Elle fait du téléphone avec un seul doigt, elle a les poignets tous tordus. Elle a de la chance avec sa petite chaise roulante qui la suit partout. Elle, au moins, elle n’a pas mal debout, comparé à Papy. Soudain, je la vois qui sort un grand tissu de son sac attaché au fauteuil derrière. Elle recouvre ses jambes avec le tissu, furtivement. Elle s’était FAIT PIPI DESSUS.
Ah tiens, y a un gars avec des béquilles dans la queue. Je l’observe, j’ai le temps, j’ai rien à faire, je ne médite pas. C’est un jeune homme beau et pas gros. Probablement un sportif de haut niveau qui s’est blessé à l’entraînement. Ça ne doit pas lui poser problème à lui, les béquilles, il a de la force. Dans quelques semaines, il sera guéri et il va galoper comme un lapin. Il s’est appuyé contre un petit muret pour continuer à faire la queue avec ses béquilles. Franchement il gère. Ça va bientôt faire une heure qu’on attend, qu’est-ce que c’est lonnnnnng. Et puis soudain, v’là que le jeune avec les béquilles s’en va. Il abandonne la queue. Il hésite quand même. Il n’a pas de volonté ni de détermination, c’est une chochotte. 1h pour lui debout et v’là qui fait son caprice. Il S’EN VA.
OK on a tous un masque, OK on ne se fait plus la bise, OK on fait la queue longtemps à 1 mètre de distance. C’est vrai que d’un coup d’un seul, la maladie nous a mis au garde à vous.
Et ce n’est pas rigolo.
Mais n’oublions pas qu’on n’est pas tous égaux face au virus.
Il n’y a pas seulement les facteurs de risques identifiés comme l’obésité le tabac ou l’hypertention qui fragilisent des gens face aux formes graves de la maladie causée par le virus.
Il y a tous ceux qui souffrent des mesures mises en place pour anticiper le virus, comme la queue. Et on peut les aider.
Dans le monde d’avant, le Papy, le fauteuil roulant, les béquilles, la femme enceinte, n’importe qui qui semblait souffrir sans le dire, on l’aidait. On l’aidait à s’asseoir, on le laissait passer, on lui gardait sa place dans une queue pour qu’il se repose à distance.
Dans le monde d’après, toutes ces petites attentions sont toujours possibles ; et même, elles n’ont jamais été aussi nécessaires.
D’avance, MERCI. Vraiment.