C’était ma Mamie Delphine.
Elle vivait dans une vieille bâtisse de campagne. En très mauvais état, mais avec le nécessaire tout de même : eau courante, savon, électricité, cheminée, et toilettes au fond du jardin. Autour, personne. Pas un voisin en vue. Pour arriver chez Mamie Delphine il fallait être informé et motivé. Long chemin caillouteux, tourne à droite, puis deuxième gauche, puis droite et droite, et là on apercevait le petit donjon qui l’abritait. Le même depuis 86 ans. Mamie était âgée, néanmoins elle entretenait poules, coqs, fruits et légumes du jardin.
Pour moi, la fille de la ville, les fruits, les légumes et les œufs poussent dans les étals des hypermarchés. J’ai grandi dans des tours où les gens sont entassés, et je vis toujours entassée agglomérée. J’aime ça. Le brouhaha de la vie de la ville, le ronron de son essor constant.
Puis un virus a commencé à circuler. Le Président avait parlé, on n’avait pas vraiment compris si c’était grave ou pas grave. C’était grave on pouvait mourir, mais quand même il fallait aller s’agglutiner pour voter.
Ah cette belle journée de dimanche 15 mars 2020 : le soleil la chaleur le parc l’herbe les rires insouciants des enfants qui couraient partout avec les chiens autour. Jeux de ballons, paroles de fanfarons. Légèreté douceur et harmonie les plus accomplies.
Le jour d’après, le Président s’est montré mécontent. Finalement le virus était très méchant, il tuait des gens. La population fut targuée d’irresponsabilité, on prit des mesures strictes. Chacun devait rester chez soi. Parce que le virus était une petite puce qui sautait invisible d’un humain à l’autre, parce que parfois il restait invisible, parce que parfois il tuait violemment.
Ce virus était un tueur en série redoutable. Sans limites. Il se déplaçait pour tuer en se transbahutant d’un humain à l’autre. Il s’installait chez quelqu’un, le rendait très contagieux, puis parfois il n’avait plus envie de tuer celui-ci, il sautait sur quelqu’un d’autre. Puis parfois il avait envie de tuer celui-là.
Chacun devait rester chez soi mais voilà.
Après avoir passé une belle journée de dimanche 15 mars 2020 à jouer au parc, la famille Discipline, composée de deux parents et de deux enfants, se dit que l’appartement pas grand, enfermés dedans, ce serait inconfortable longtemps. Jouer, rire, courir, voilà ce dont avait besoin la famille Discipline. Alors, dans la nuit de lundi à mardi, en catimini il partirent pour leur belle maison de campagne. Elle était isolée de tout et de tous. Autour, personne. Pas un voisin en vue. Pour arriver dans la résidence de vacances de la famille Discipline, il fallait être informé et motivé. Long chemin caillouteux à parcourir, tourne à droite, puis deuxième gauche, puis droite et gauche, et là on apercevait le gros pavillon qui les abriterait.
Comme ils avait été prévenants et intelligents la famille Discipline.
Comme ils se sont amusés dans cette maison. Les enfants jouaient, riaient, courraient dans l’herbe.
Mais un jour ils ont eu faim. Alors ils ont se sont rendus à l’hypermarché du coin. Eh oui parce que même heureux, on ne vit pas longtemps d’amour et d’eau fraîche. Il achetèrent des pâtes, du papier toilette, du chocolat, de la farine pour cuisiner de bons gâteaux. Pour les œufs, ils se sont satisfait de faire vivre la petite productrice locale. Ils découvraient avec fierté qu’elle habitait à côté de chez eux. Comme c’était drôle.
Et puis vint le jour où ma Mamie aussi eu faim. Elle nous aimait, elle nous le disait, et nous aussi on l’aimait, et on le lui disait. Mais elle ne pouvait pas vivre seulement d’amour et d’eau fraîche. Alors elle demanda à Thierry, le facteur, son seul interlocuteur de l’extérieur, d’aller lui faire quelques courses à l’hypermarché du coin. Même si Mamie était autosuffisante pour beaucoup de choses, même si elle vendait l’excédent des œufs de ses poules à l’hypermarché, elle avait besoin de pâtes, de papier toilette, de chocolat et de farine.
Heureusement Thierry était gentil. Il a tout fait pour aider Mamie.
Quand Mamie a commencé à avoir du mal à respirer, c’est lui qui a appelé le Samu.
Quand Mamie a été diagnostiquée du virus et hospitalisée, c’est lui qui nous a prévenu.
Quand Mamie a cessé de respirer, c’est encore lui qui nous a consolé.
Voilà. Le virus a tué ma Mamie.
Je suis envahie de haine. De la plus vile colère. De la plus sotte volonté de vengeance.
Le virus ne pouvait pas atteindre Mamie facilement. Mais il voulait la tuer. Il voulait l’avoir morte, elle. D’autres aussi, elle aussi. Alors il a sauté sur l’aubaine que lui avait offerte la famille Discipline. Il est arrivé de la plus grande des villes jusqu’à la plus isolée des campagnes, dans la nuit de lundi à mardi. Il a attendu la faim de la famille Discipline, ses besoins primaires, manger et chier, et il s’est installé confortablement dans les rayons de l’hypermarché. Et il est passé tout simplement et logiquement par Thierry le facteur.
On nous dit de rester chez nous pour sauver des vies.
Moi je vous dis de rester chez vous pour cesser vos meurtres et vos assassinats. Vos crimes.
Vous qui vous déplacez, vous tuez autour de vous, sans pitié et sans relâche.
Sans le savoir, peut-être même sans le vouloir.
Mais apprenez que vous tuez.
C’est vous qui avez tué ma Mamie.
Le virus vous a aidé.
Mais vous êtes les criminels.
A vous tous qui avez tué,
toute ma vie,
tant que je le pourrai,
tant que le virus m’aidera,
tant que ma voix portera,
tant que mes poumons souffleront,
à mon tour
je vous tuerai
puis j’irai cracher sur vos tombes.